Lundi s’est ouvert à Nanterre le procès de deux Roumains accusés du viol de jumelles sourdes et muettes perpétré à Bois-Colombes, le 30 janvier 2012. Après une heure d’audience fut décidé le huis clos, demandé par la défense des victimes, le plus souvent accordé dans les cas de sévices sexuels, mais justifié, en outre, par une circonstance particulière : ces jeunes femmes de 34 ans ne connaissent pas le langage des signes et sont incapables de communiquer, sinon par mimiques et cris inarticulés que ne «comprennent» que leur mère et leur tante, avec lesquelles elles vivent.
Des versions des faits souvent contradictoires ont été publiées par la presse en 2012, dont certains éléments troublants ne sont pas repris aujourd’hui. Selon une première version, les jumelles auraient rencontré les deux jeunes Roumains dans une boîte de nuit et les auraient accompagnés au matin dans l’appartement de l’un d’eux. Elles y auraient été violées, tabassées, traînées à moitié nues dans l’escalier et l’une d’elles jusque dans la rue où on l’aurait découverte vers midi.
D'autres versions situent la rencontre dans un café de Bois-Colombes ou de la Bastille. Des voisins ont aussi témoigné avoir vu les jeunes femmes en «jupe courte» le soir dans l'immeuble, à plusieurs reprises et quelques jours encore avant le viol, de même que d'autres jeunes femmes.
Le Roumain locataire de l’appartement est connu des services de police pour proxénétisme. Il ne faisait pas de doute pour les voisins que les jumelles étaient exploitées par le proxénète. Ces témoignages auront-ils été recueillis en audience ces jours-ci ? C’est ce que nous ne saurons probablement pas.
Jeunes femmes violées par hasard, si l'on peut dire, ou «corrigées» par leur proxénète, leur infirmité fait d'elles des victimes d'autant plus pathétiques d'actes d'autant plus barbares. Mais davantage encore, les place hors du commun le fait d'être dépourvues de langage parlé, ou de langage des signes. Elles se sont inventées, dit la tante, une manière à elles de communiquer entre elles.
L’autarcie souvent frappante des jumeaux, qui se tiennent lieu de tout, est ici portée à son comble. Mais frappe aussi leur isolement, retranchées de toute communication extérieure à la famille et, en même temps, livrées au tout-venant. Hors langage dans la jungle des villes. On songe aux enfants sauvages, à un Victor de l’Aveyron qui n’aurait pas rencontré son Itard, mais aussi peut-être à la séquestrée de Poitiers chère à André Gide.
Ces jeunes femmes ne sont-elles pas murées dans leur surdité et leur mutisme comme la séquestrée dans son autisme ? Elles sont arrivées d'Afrique du Nord en France à l'âge de 10 ans, pour consulter des «médecins français», selon la mère, qui ajoute : «Il n'y a pas eu de prise en charge.» Comment ont-elles pu rester soustraites à l'obligation de scolarité, dont leur infirmité ne les dispensait pas ? C'est peut-être ce dont il aura été question dans ces audiences. Peut-on espérer que ce procès leur ouvre un accès hors de leur huis clos gémellaire.