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Libération
Libé des écrivains

«Un écrivain, c’est timide, ça se cache»

Les écrivains présents mercredi entre les murs de «Libération» (Photos Yann Rabanier pour «Libération»)
par Geneviève Brisac et Sylvie GRANOTIER
publié le 16 mars 2016 à 19h31

«I am sure I'd be interested, if I knew what it was all about.» («Je serais sûrement intéressé si je comprenais de quoi il retourne.») Iain Levison remet son bonnet et s'en va. La conf de rédac est finie. Au fait, de quoi il retourne ? C'est une tradition. Il y a plein de traditions à Libé. Hé oui. Comme le Libé des écrivains qui paraît le jour du Salon du livre (euh, pardon, Livre Paris).

9 h 15. Autour de la table ronde s'installent les apprentis journalistes. Tout le monde est là sauf une romancière partie rue Béranger (l'ancienne adresse). Christine Angot, notre rédactrice en chef, a les joues roses, elle dit que c'est agréable de venir travailler le matin. «Ça vous change», remarque Yann, le photographe. Les photos sont individuelles, autrefois on faisait une photo de groupe. Hélas, Yasmina Khadra s'en va se faire filmer et Michel Crépu se faire enregistrer. On parle polar avec Marc et civilisations disparues avec Jean-Pierre. Il n'y a pas de hors sujet.

10 h 50. Ça prend tournure. D'emblée, ce numéro ne s'annonce pas réconfortant. Deux axes : l'échec humiliant et honteux de l'Europe face aux réfugiés, exilés, que nous nous acharnons à nommer migrants, ce mot sec et faux ; et les scandales pédophiles à répétition engloutis sous les silences de l'Eglise. Christine Angot parle des causes récurrentes du silence des enfants et des adolescents. L'impuissance. L'éclatement du monde. L'escalade du chacun pour sa microcause, chacun dans sa case, chacun dans sa bulle de rage. Marc Weitzmann a l'air abattu. S'il y a un thème de ce numéro, c'est celui-là. Décrypter le silence, mettre des mots pour combattre cet empêchement généralisé. Tania de Montaigne raconte les attaques dont est victime l'actrice d'un biopic sur Nina Simone. Pas assez noire, décrètent les militants autoproclamés dépositaires de la parole noire. Représentants d'eux-mêmes, en vérité. L'altérité, l'humain au cœur du débat.

12 h 15. Frédérique traque les écrivains pas encore photographiés. «Ah, y en a un là-bas, je vais le choper !» Philippe Besson, qui a deux papiers à rendre, l'un sur le cardinal Barbarin et l'autre sur la loi El Khomri, s'inquiète des poils de chat sur son pull noir. En vérité, il a envie de parler de son chat. Le photographe regarde les poils et dit : «C'est sûrement un Maine coon, une sale bête», des photos de Léo (le chat) circulent, on parle de chats, comme la moitié des Français à la machine à café. Sur le mur, une affiche qui dit : «J'aime pas les enfants, c'est comme des chats qui parlent.» Qu'en pensent les prêtres pédophiles ? «Et moi, qu'est-ce que je fais ?» demande un authentique journaliste frustré, débarqué d'un rendez-vous à l'extérieur. Rien, aujourd'hui les écrivains écrivent. Ça alors !

12 h 40. «Qui s'occupe de réduire le Turc ?» demande Alexandra, inquiète du débordement de signes. «A l'Huma, ça va plus vite, et ça discute plus», remarque Caryl Férey. Gaëlle Obiégly n'a pas osé trop parler, parce qu'elle se sentait intimidée. Off, elle est passionnante. «Un écrivain c'est timide, ça se cache», dit Yann qui prône la douceur pour les apprivoiser.

12 h 51. On descend fumer une cigarette, dehors. «Si Chirac meurt on est mal», dit Stéphanie, qui s'occupe de l'édition. Ça n'a pas l'air d'être pour aujourd'hui.

13 h 15. Jambons, fromages, pains aux céréales innombrables, exilés de la rue Béranger. «J'adore ce pain», dit Mathieu Lindon, pensif. Il y a plein de traditions à Libé.Mais personne ne vient manger. Tout le monde travaille. Il trouve un titre pour la une : «Rappelle-toi, Barbarin».

14 h 30. Réunion d'édition. Définir la une. On y revient : Barbarin pleine plage ? Pas top comme une. Rappeler qu'il s'agit du Libé des écrivains. C'est bien le moins. L'Europe ? Les papiers méritent la une mais l'Europe, c'est comme l'environnement, un répulsif pour lecteurs. Pourquoi ? Mais pourquoi ?

15 h 33. Claire Fercak et Gaëlle Obiégly planchent sur l'abandon de Rubio. «Rien à dire», s'inquiètent les deux, alignant les propositions intéressantes. «Ça fait un papier, ça», dit Johanna. Claire s'en va, Gaëlle reste, elle écrira à partir de leur échange. Deux auteures «Verticales».

15 h 50. Réunion de une. Les unes éparpillées sur la table ronde. Des petits jésus, des poupées cassées ? Barbarin ? Faut-il être sur sa personne à ce point ? Double une ? Fond unique, plus sommaire ? En haut de page, «Libé des écrivains» s'inscrit en bleu explosif, du pur cyan ! «C'est quoi ?» demande Christine Angot. Le nom de la couleur. Heureusement, c'est aussitôt tranché, ce ne sera pas cyan. Ouf !