Prélever l'impôt sur le revenu à la source ? Cette réforme que Valéry Giscard d'Estaing, alors jeune ministre des Finances, vantait aux Français en 1973, Michel Sapin, actuel titulaire du portefeuille, vient de la mettre sur les rails. C'est dire si gouvernements et administrations ont pris le temps de la réflexion… Mais cette fois, c'est parti : en juin, le prélèvement à la source devrait être approuvé par le Parlement, en vue d'une entrée en vigueur le 1er janvier 2018. Sans que toutes les étapes et les chausse-trappes de cette modification annoncée soient d'ailleurs encore vraiment maîtrisés. Petit tour des questions plus ou moins délicates qui vont se poser.
De quoi s’agit-il ?
Le prélèvement de l’impôt sur le revenu à source, ou retenue à la source, consiste à déduire chaque mois le montant de l’impôt directement du salaire, de la pension de retraite ou des allocations-chômage. Selon le cas, c’est donc l’employeur, la caisse de retraite ou l’Unédic qui collectera l’impôt sur le revenu et le reversera à l’Etat. Le procédé est courant en Europe et déjà très pratiqué en France puisque près de la moitié des prélèvements obligatoires, à commencer par les cotisations sociales et la CSG, sont déjà retenus à la source.
Comment ça va se passer concrètement?
Aujourd’hui, chaque contribuable paye son impôt sur le revenu avec un an de décalage. En 2016, on va donc payer l’impôt dû sur les revenus 2015. De même, en 2017, on paiera l’impôt sur les revenus 2016. Le basculement est pour 2018 : les revenus touchés en 2018 seront imposés en 2018 quasiment en temps réel. Mais quid des revenus de 2017 ? Ils ne seront jamais déclarés, cette année-là étant considérée comme une année fiscalement blanche.
Pour un contribuable dont le salaire est stable d’une année sur l’autre, cela ne changera pas grand-chose en termes de trésorerie, surtout si son impôt est déjà mensualisé. En revanche, un salarié dont le revenu chuterait début 2018 suite à une perte d’emploi par exemple, gagnera à la réforme. Un jeune qui trouverait son premier emploi cette même année perdra, lui, au change.
Pour l’heure, cette règle ne vaut que pour les revenus du travail. De fait, les revenus de l’épargne et du capital (plus value immobilière ou mobilière, revenus fonciers…) perçu en 2017 ne devraient, eux, pas connaître d’année blanche. Ils devraient donc faire l’objet d’une déclaration et d’un prélèvement spécifiques en 2018. Tout comme les dépenses qui ressortent d’une niche fiscale (emploi de salarié à domicile…).
Ça va changer quoi ?
En vitesse de croisière, cela devrait simplifier la vie des contribuables, même s'ils devront déclarer leur revenu annuel au fisc comme à l'accoutumé : la grande majorité n’aura plus à se soucier de payer l’impôt sur le revenu, l’employeur leur versant un salaire net d’impôt. En revanche, la retenue à la source fonctionnant comme une avance sur impôt, il faudra en cas de chute brutale du revenu contacter de toute urgence le fisc pour expliquer son changement de situation et négocier une baisse de prélèvement, la régularisation totale n'intervenant que l'année suivante une fois le revenu annuel déclaré. Pour les contribuables à revenu variable, la retenue à la source peut donc devenir un champ de mine.
Qu’est ce que l’Etat gagne au changement ?
Pour un gouvernement, l’enjeu est double : les mesures fiscales votées produisant leurs effets quasi immédiatement, les contribuables pourront plus facilement juger de la pertinence de la politique suivie. En outre, cela devrait permettre un pilotage macroéconomique plus fin du pays.
Pour le reste, l’effet de la réforme est incertain. S’il a permis d’améliorer le taux de recouvrement de l’impôt sur le revenu chez certains de nos voisins européens, cela ne peut être le cas en France où ce taux est déjà de 99%. La généralisation de la déclaration préremplie et le taux de mensualisation élevé (66% en 2014) rendent ses effets encore plus hypothétiques.
C’est donc plutôt le risque d’une baisse du taux de recouvrement que pointe le principal syndicat des agents du fisc, Solidaires finances publiques, opposé à une réforme, qui confie largement la collecte de l’impôt aux entreprises.
La confidentialité des revenus sera-t-elle garantie ?
C'est une grosse difficulté de la réforme. En France, l'impôt sur le revenu est un impôt familial. Son montant est calculé en fonction de la composition du foyer fiscal et des revenus imposables de ses membres. Autant d'informations personnelles et patrimoniales qu'un salarié ne souhaite pas forcément partager avec son employeur. «Dans le cas d'un foyer fiscal avec des revenus inégaux, le plus petit salaire pourrait être amené à supporter une retenue équivalente à celle de son conjoint : une rupture manifeste de l'égalité devant l'impôt», avertit ainsi la CGT Finances. De son côté, le Conseil des prélèvements obligatoires s'est inquiété de la possible utilisation par les entreprises des données personnelles des salariés, par exemple pour moduler leur politique salariale. Pour apaiser les craintes, le secrétaire d'Etat au budget, Christian Eckert, a précisé que l'employeur «ne connaîtra qu'un taux d'imposition», «qui pourra être différencié entre les membres d'un couple et qui, à lui seul, ne révélera pas les revenus d'un foyer». L'administration qui calculera ce taux et transmettra aux entreprises «restera l'interlocuteur unique du contribuable», a-t-il précisé.
Qu’en pensent les entreprises ?
Elles sont pour le moins réticentes. Pour le Medef, cette réforme sera surtout source de «complexité» et de «stress» pour les chefs d'entreprise. Une inquiétude partagée par la CGPME qui a d'ores et déjà posé ses conditions : «Il est impératif que le dispositif soit le plus simple possible et ne génère pas de coûts supplémentaires pour les entreprises. Si tel n'est pas le cas, il conviendra de prévoir un mécanisme de compensation financière.» Autant dire que la réforme est sous haute surveillance.