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Libération
13 Novembre

Les parlementaires ont-il empiété sur l'enquête judiciaire en allant au Bataclan ?

Pour comprendre le déroulement des faits le soir du 13 novembre, des députés se sont déplacés jeudi matin dans la salle de spectacle. Au risque d'outrepasser les prérogatives d'une commission d'enquête parlementaire.
Georges Fenech (c), président de la commission d'enquête parlementaire sur les attentats du 13 novembre, devant le Bataclan à Paris le 17 mars 2016 (Photo ALAIN JOCARD. AFP)
publié le 17 mars 2016 à 17h20

La pratique est en passe de devenir habitude : après un attentat en France, une commission d'enquête parlementaire est lancée. Après les assassinats commis par Merah, les députés socialistes Cavard et Urvoas avaient rendu un rapport sur «le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés». Depuis le 26 janvier, Georges Fenech (LR) préside l'enquête sur «les moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015». Entre-temps, Ciotti (LR) et Mennucci (PS) ont planché sur «la surveillance des filières et des individus jihadistes» après l'arrestation de Mehdi Nemmouche, principal suspect dans la tuerie du musée juif de Bruxelles.

A chaque fois, le sujet choisi par la commission est connexe. Et pour cause : une commission parlementaire ne peut pas se superposer, encore moins se substituer, à une enquête judiciaire. La manifestation de la vérité et la recherche des auteurs est une affaire qui concerne la justice et exclusivement la justice.

Le problème, déjà soulevé par l'affaire Cahuzac, se pose de nouveau avec acuité à propos de la visite d'une quinzaine de membres de la commission d'enquête au Bataclan, la salle de concert parisienne où 90 personnes ont été tuées le 13 novembre. La visite a été présentée comme une «reconstitution», soit un terme emprunté au champ judiciaire. De quoi remettre une pièce dans la machine sur le mode : pour qui se prennent ces parlementaires qui se mettent soudainement à copier les méthodes d'enquête des magistrats ?

«Rien à voir avec une reconstitution»

Dès le lancement de la commission, à l'initiative du député de l'opposition Christian Jacob, la garde des Sceaux avait averti : son périmètre était «susceptible de recouvrir pour partie celui de certaines enquêtes et informations judiciaires actuellement ouvertes au parquet de Paris et au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris»Donc d'être hors des clous. Les députés se sont donc engagés à «veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire».

Ont-ils mordu la ligne en se rendant au Bataclan jeudi matin ? «Notre visite n'a strictement rien à voir avec une reconstitution, tranche Pascal Popelin, membre socialiste de la commission, nous voulions voir in situ pour comprendre l'enchaînement des faits.» Après avoir entendu, souvent à huis clos, des responsables des services de secours, de la police et de la gendarmerie, les parlementaires voulaient donc se rendre compte par eux-mêmes de la disposition des lieux dans la salle de spectacle, affirme-t-il.

«Ce n'est pas notre rôle. La commission enquête sur l'organisation des services, sur les enseignements tirés après les attentats de janvier. Aller au Bataclan n'apporte pas grand-chose surtout après les auditions des patrons du Raid, du GIGN, de la BRI…» objecte sous couvert d'anonymat un député qui participe également aux travaux. Il ne faisait logiquement pas partie de la délégation dans la salle de spectacle jeudi matin.

Secret des auditions

«On ne peut pas se limiter à se faire raconter des histoires, nous devons aussi vérifier par nous-mêmes», rétorque le député PS Christophe Cavard pour qui le déplacement se justifie sans l'ombre d'un doute : «Quand vous êtes dans le couloir, derrière la porte, vous comprenez mieux le déroulement de l'assaut.» L'argument a été avancé devant la presse par le président de la commission, le député LR George Fenech : «Nous allons voir chronologiquement quelle a été leur intervention, pourquoi il a fallu trois heures entre la première attaque et [la fin de] l'intervention, trois heures pour extraire les dernières victimes.»

Les députés entendent répondre aux interrogations qui ont ranimé la sempiternelle guerre police-gendarmerie. Sur place, des représentants de la BRI, du Raid, de la section antiterroriste de la police judiciaire, de la BAC et d'une compagnie d'intervention ont éclairé les parlementaires, pendant les deux heures et demie. Sur le contenu des échanges, les parlementaires se font discrets.

Briser le huis clos est passible d'un an d'emprisonnement, comme l'a rappelé dès le départ le président de la commission, dont une très grande majorité des travaux ne sont pas publics. Un membre défend cette configuration, arguant que les auditions n'en sont que plus «dynamiques». Les députés disposent d'un droit de suite à leur question. Ils peuvent aussi demander à obtenir des documents, ce dont certains ne veulent pas se priver.