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Justice

Liberté et sécurité : «Cela va participer à la société du soupçon»

La commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) publie ce vendredi un avis très sévère sur le projet de loi débattu à l'Assemblée nationale réformant la procédure pénale. Et tendant à créer un état d'urgence bis dans le droit commun.
Une centaine de manifestants se rassemblent devant l'Assemblée nationale à Paris pour protester contre la prolongation de l'état d'urgence, le 5 février. (Photo Boris Allin. Hans Lucas pour Libération)
publié le 18 mars 2016 à 17h45

Le texte a été adopté à l’unanimité, moins une abstention : la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), dont la mission est d’éclairer les pouvoirs publics sur le respect des droits fondamentaux, publie ce vendredi un avis très critique sur un projet de loi actuellement en discussion à l’Assemblée nationale.

Ce texte vise notamment à renforcer la lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Il «a été indéniablement préparé dans la précipitation», et aurait mérité une «réflexion plus approfondie», note la Commission. Qui en profite pour égratigner Manuel Valls : «Contrairement à une idée en cours, analyser et expliquer n'est pas "excuser" et les enseignements des sciences sociales peuvent contribuer à lutter efficacement contre toutes les formes de terrorisme.»

«Empilement»

La CNCDH revient en préambule sur la précipitation qui a semblé présider à la rédaction de ce projet de loi, présenté en Conseil des ministres «un peu moins de trois mois» après les attentats de novembre 2015. Notant «l'empilement des réformes dans les domaines du champ pénal et de la sécurité intérieure (près de 30 lois adoptées entre 1999 et 2016)», elle déplore «cette prolifération de textes législatifs, relevant davantage d'une approche politique et émotionnelle que d'un travail législatif réfléchi».

«Légiférer tous azimuts», comme l'indique la CNCDH, n'est pas sans risques. Le choix de recourir à la procédure accélérée à l'Assemblée, associé à la pauvreté de l'étude d'impact, entraîne un manque de garanties pour les libertés individuelles. «On était presque prêts à demander le retrait intégral du texte, confie à Libération Christine Lazerges, la présidente de la Commission. Jusqu'à présent, le législateur avait fait le choix de renforcer la procédure pénale d'exception applicable au terrorisme. Le changement radical, aujourd'hui, c'est qu'on modifie la procédure pénale de droit commun, ce qui provoque moins de garanties pour l'ensemble des citoyens.» Elle voit dans ce projet «la création en droit commun de dispositifs proches de l'état d'urgence».

«La garde est baissée»

Dans son avis, la Commission recommande notamment le retrait de l'article 18 du projet de loi, qui prévoit l'institution d'une rétention d'une durée de quatre heures pour des vérifications avec les services de renseignement. «Il y a un risque que cette rétention soit faite au faciès, explique Christine Lazerges, qui note que cette procédure n'offre pas les mêmes garanties que la garde à vue ou l'audition libre. Cela peut avoir d'importantes conséquences d'ordre professionnel ou familial et va participer à la société du soupçon.»

Autre revendication : le retrait de l'article 4 ter du projet de loi, qui prévoit d'intégrer certains personnels de l'administration pénitentiaire à la communauté du renseignement. «Cela constitue un dévoiement du métier de surveillant, qui doit aussi contribuer à la réinsertion du délinquant incarcéré, dénonce Christine Lazerges. Quel détenu aura confiance dans un surveillant s'il sait que celui-ci est tenu d'informer les services de renseignement ?»

La présidente de la CNCDH le répète : «Je ne nie pas qu'il est très difficile de sortir de l'état d'urgence, d'autant que l'opinion publique semble accepter un recul des libertés au nom de la sécurité. Mais là, le curseur est dangereusement déplacé, la garde est baissée.» Christine Lazerges redoute les «effets dévastateurs en matière de cohésion sociale» de cette réforme sécuritaire.