A première vue, tout va mal. Le civisme ? La solidarité ? Qu'en reste-t-il à l'heure de l'individualisme triomphant ? On magnifie les gagnants, on adule les vainqueurs, on porte aux nues ceux qui se sont soudainement enrichis, on filme en continu la tribu Kardashian, célèbre pour sa célébrité et surtout son niveau de vie, on met en scène le darwinisme social à travers la téléréalité, qui n'est qu'un voyeurisme de l'élimination des faibles, on valorise la gruge, le cynisme, le machiavélisme… Plus concrètement, on consent à la fermeture des frontières et à l'abandon des réfugiés, on joue la concurrence de tous contre tous, on impute aux pauvres la responsabilité de leur sort, etc. Où sont les valeurs collectives ? Où est le sens de l'intérêt général ? L'enquête que nous publions vient bousculer les idées reçues. Il en ressort un esprit général qui contredit les diagnostics les plus noirs. Il en ressort surtout, non le rejet de la politique, mais l'exigence d'une politique plus droite et, surtout, plus efficace. Ce qui vient en tête dans ce sondage Libération-Viavoice-Klesia ? L'action bénévole, caritative ou humanitaire : solidaire. Comme le souligne Christian Schmidt de La Brélie, patron de Klesia, notre partenaire, les Français plébiscitent l'action collective, celle du quotidien, du voisin, du prochain… Celle qui permet de voir le bout de ses actes. On dira qu'ils votent de moins en moins, qu'ils se détournent de la politique classique. C'est indiscutable. Mais on se désespère, avant tout, de voir les responsables réduits à l'impuissance. On élit un président, celui-ci ou son prédécesseur, avec une participation électorale très forte ; on enrage de les sentir incapables de réduire le taux de chômage. Ce sentiment est moins lié à l'individualisme, qui détournerait les citoyens du civisme, qu'aux effets délétères de la mondialisation. Chacun s'est persuadé, progressivement, que les responsables nationaux ne disposent pas, en fait, des leviers propres à redresser la situation sociale. Pour le citoyen désemparé, le vrai pouvoir est ailleurs : sur les marchés financiers, dans les conseils d'administration des banques, dans les états-majors des multinationales. En conséquence, une partie croissante de l'opinion éprouve la nostalgie d'un Etat fort, et voit dans le retour aux frontières nationales un moyen de recouvrer la souveraineté populaire. Autant que la xénophobie ou l'inquiétude identitaire, cette nostalgie nourrit les partis nationalistes qui progressent partout en Europe et même, désormais, aux Etats-Unis. Il n'est qu'un remède à cette maladie : une meilleure coopération qui rende aux Etats coalisés la maîtrise de leur propre avenir. Entre le nationalisme et les forces progressistes, la course de vitesse est engagée. Le nationalisme a une longueur d'avance.
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