Qui sont les héros de l’époque ? Les fondateurs de start-up ? Les réussites d’Internet ? Le créateur d’Uber ? L’entrepreneur ? L’auto-entrepreneur ? Les petits débrouillards qui ont créé ce sympathique service de location de perceuses ? Ou les astucieuses malignes qui imagineraient un site nommé, mettons, Trucsdegénialesmamans.com ? Bref, faut-il admettre que ce qui compte désormais est le «chacun pour sa pomme et que le meilleur gagne» ? Avec un destin people de préférence…
Individualistes. Pour les professionnels de la protection sociale telle qu'elle a été élaborée dans l'après-guerre, répondre par l'affirmative à ces questions, revient à se demander s'il ne faut pas changer de métier. Mais avant de sauter ce pas, peut-être vaut-il mieux savoir si, vraiment, les références du temps présent sont ces figures d'individualistes triomphants. Ou s'il reste dans les têtes un souci de ce qu'on peut appeler, pour faire court, l'intérêt général.
Car le besoin est toujours là. Cette certitude ressort de la première édition de l'Observatoire de l'intérêt général, menée par l'institut Viavoice pour le compte de Libération et Klesia, le quatrième groupe de protection sociale en France. Les sondeurs n'ont pas demandé aux gens s'il fallait sauver la protection sociale, le régime des retraites ou le système de la répartition : la réponse, positive, aurait été dans la question. Ils les ont questionnés sur l'intérêt général (lire ci-dessus le détail de l'enquête). Est-il suffisamment pris en compte dans la société d'aujourd'hui ? Une énorme majorité, 78 %, pense que non. Une grosse moitié souhaiterait s'impliquer davantage dans «des actions utiles pour l'intérêt général» et ce chiffre atteint 70 % chez les jeunes (18-24 ans). Manifestement, le triomphe un rien égoïste du self-made-man n'est pas une référence…
En fait, pour défendre l'intérêt général, ce sont encore et toujours les pouvoirs publics et la nation qui sont attendus au rendez-vous. Cela alors que les politiques ne sont crédités de se soucier de l'intérêt général que par 16 % des sondés et les partenaires sociaux par 32 %. On est dans la «particularité française dans laquelle la place de l'Etat et des services publics est plus importante que dans de nombreux pays», écrit Viavoice. On est aussi dans un moment particulier, celui «d'un apparent désenchantement d'un bien commun», constatent les sondeurs. Ils voient un «manque d'adhésion aux discours classiques sur l'éducation, la solidarité, la citoyenneté, le civisme et sur les modalités d'action classique», comme la répartition et le paritarisme.
Et pourtant, «certaines valeurs restent des références fortes». Ainsi se pourrait-il qu'on «perçoive une certaine lassitude sur la simple satisfaction de soi et de ses proches». Mais ce qui ressort finalement de cette enquête, c'est que «le besoin de vie collective est toujours là».
Pour des structures comme Klesia, qui «vendent» de la protection collective au travers des régimes de retraite Arrco ou Agirc et des complémentaires santé, savoir si l’individualisme gagne du terrain dans les esprits est vraiment une question de fond.
Répartition. Depuis janvier, l'activité de ces méga-assureurs sociaux peu connus s'est transformée. Leurs interlocuteurs ne sont plus les branches professionnelles mais les entreprises elles-mêmes. D'une certaine façon, il s'agit maintenant de se rapprocher du client final mais pas «pour décliner un produit d'assurance santé», explique Christian Schmidt de La Brélie, directeur général de Klesia. Il s'agit plutôt «de prendre du recul» et de voir «quel est le sentiment général des Français». Sur l'«uberisation» du travail, ce spécialiste estime qu'on ne «va pas passer au travail individuel du jour au lendemain». La répartition a encore de beaux jours devant elle, assure-t-il. La question que ces professionnels ont voulu poser avec cet Observatoire de l'intérêt général, Christian Schmidt de La Brélie la résume : «Est-ce que nos racines sont toujours là ?» Apparemment, oui.