Ce sont deux chiffres qui font plaisir. Les Français sont 78 % à considérer que l'intérêt général est «insuffisamment pris en compte dans la société actuelle» et 58 % à souhaiter dans la foulée «être davantage impliqués» dans des actions de solidarité et d'entraide. Loin de l'image d'une France égoïste s'abandonnant aux discours extrémistes, les résultats du sondage de l'Observatoire de l'intérêt général Libération-Viavoice-Klesia que nous publions (1) dessinent une société qui n'a pas renoncé à la fraternité.
Le constat de départ n'est pourtant pas rose. A la question «pensez-vous que l'intérêt général est suffisamment pris en compte», un petit 18 % de oui dévoile l'étendue du pessimisme ambiant. Coupables désignés : les hommes et femmes politiques (sans surprise) qui, pour 80 % des sondés, ne se soucient pas de l'intérêt général. Suivent les entreprises (74 % d'opinions négatives) puis les partenaires sociaux (62 %). Quant aux domaines où il est urgent d'intervenir, ils sont nombreux : lutte contre le chômage, accès à l'emploi, justice sociale et civisme, sécurité, éducation, culture, santé… Le pays est en panne de solidarité, juge l'opinion.
Pourtant, ce tableau noir n'incite pas au renoncement. Une majorité de Français pensent que l'intérêt général est compatible avec les intérêts individuels (57 % contre 36 %). Les mêmes estiment œuvrer - modestement - pour le bien commun par leur engagement associatif ou bénévole (23 %), un comportement respectueux de l'environnement (18 %), le fait de travailler «au service des autres» (dans la fonction publique ou dans un métier jugé «utile», 17 %) ou simplement en payant de bonne grâce leurs impôts (16 %).
Des attitudes citoyennes encore insuffisantes puisque 58 % des Français souhaiteraient davantage s’impliquer, avec une priorité pour le monde associatif, le bénévolat et les missions humanitaires (23 %) ou les enjeux démocratiques et politiques (20 %).
Mais ces initiatives personnelles ne font pas le compte. Face à la mondialisation et aux crises successives (migrants, Europe, terrorisme…), les Français se sentent démunis et se tournent, encore et toujours, vers l'Etat pour promouvoir plus de justice sociale. C'est «aux pouvoirs publics [élus, hommes et femmes politiques] de se soucier de l'intérêt général», affirment 64 % des sondés quand seuls 19 % d'entre eux misent sur les associations ou les syndicats et 5 % sur les entreprises (les patrons étant, eux, crédités de 2 % d'opinions positives pour leur souci de l'intérêt commun).
Les pouvoirs publics sont principalement sollicités au niveau de l’Etat (52 %), de la région (27 %) ou de la ville (24 %), l’Europe n’arrivant qu’en quatrième position (18 %). Et lorsque l’on aborde le développement du numérique ou de l’économie collaborative, c’est de nouveau le gouvernement qui est jugé légitime pour agir (41 %) devant les associations (40 %), les entreprises (28 %) ou les médias (20 %). Partis politiques (14 %), syndicats (10 %) ou milieux intellectuels (10 % également) ferment le peloton.
(1) Interviews réalisées en ligne du 5 au 10 février 2016 auprès d’un échantillon de 2 000 personnes.