Puisqu'elle semble avoir épuisé les charmes de la déchéance de nationalité, la droite lance un nouveau débat, tout aussi symbolique et fortement clivant. Au lendemain des attentats de Bruxelles, plusieurs responsables du parti Les Républicains (LR) réclament l'instauration d'une «perpétuité effective» pour les terroristes condamnés. La députée Nathalie Kosciusko-Morizet, figure de l'aile «modérée» de LR a été la première à lancer cette idée, mardi, lors de la séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale. A la peine dans les sondages, la candidate à la primaire présidentielle a manifestement besoin de reconnaissance dans son propre camp. «Accepterez-vous d'instaurer une perpétuité effective et irrévocable, c'est-à-dire sans possibilité de mettre fin à la période de sûreté perpétuelle, pour les auteurs d'actes de terrorisme ?» a-t-elle lancé au Premier ministre. Manuel Valls lui a poliment répondu que cette piste méritait, en effet, d'être explorée. Exceptionnellement devancé sur son terrain de prédilection, le champion du sécuritaire LR, Eric Ciotti, n'a pu que confirmer : «Il est impensable d'imaginer que ces personnes puissent demain sortir de prison.»
Projet abandonné
Pour justifier son initiative, NKM s'appuie sur le cas Salah Abdeslam. Que deviendra-t-il vers 2046, quand il aura purgé les trente ans de sûreté qui lui semblent promis dans le cadre d'une probable perpétuité et qu'il pourra demander un aménagement de sa peine ? Existant déjà pour les crimes sur mineurs et sur les forces de l'ordre (lire page suivante), la peine de sûreté de trente ans va en effet être étendue aux crimes terroristes sur proposition du député LR Guillaume Larrivé. Plutôt que de déchoir de sa nationalité le Français Abdeslam - projet qui devrait être abandonné en raison du veto de la droite sénatoriale -, il serait plus judicieux, selon NKM, de décider de l'enfermer jusqu'à la fin de ses jours. Convaincue d'avoir derrière elle «beaucoup de Français», elle a lancé une pétition sur son site internet. De nombreux signataires invitent l'ex-ministre à aller jusqu'au bout de sa logique de mise à l'écart définitive du terroriste : pourquoi dès lors ne pas rétablir sans tarder la peine de mort ?
La même logique a conduit le président de la région Nord-Picardie, Xavier Bertrand, à exiger que les condamnés «susceptibles de relever de la peine de mort ne puissent jamais sortir de prison». Ce principe «ne supporte pas le moindre aménagement», a-t-il poursuivi jeudi sur BFM TV confiant au passage qu'il n'aurait «pas voté l'abolition de la peine de mort» s'il avait été député en 1981.
«Bêtes féroces»
Spectateur effaré des surenchères dans son propre camp, le député LR Patrick Devedjian s'attend à tout, même au pire : «Nous sommes dans la dictature de l'émotion. Il faut réagir absolument, on ne sait plus quoi inventer. Chaque étape de la tragédie doit avoir sa réponse politique. On pourrait aussi couper les mains, s'inspirer de l'Arabie Saoudite.» Pour Devedjian, les partisans de la «vraie» perpétuité trahissent leur méconnaissance du monde carcéral : «La suppression des réductions de peine est combattue par l'administration pénitentiaire. Enfermer sans donner aucun espoir, c'est fabriquer des bêtes féroces. Depuis l'abrogation de la peine de mort en 1981, les termes du débat sont connus : si on ne tue pas le criminel, c'est qu'on accepte qu'il continue à vivre. Il faut donc qu'il y ait un espoir. Aussi lointain soit-il.»
Au sein de la majorité, la porte entrouverte par Manuel Valls mardi a été refermée par le porte-parole du gouvernement. «Il ne peut pas y avoir de peine qui condamne un prisonnier jusqu'à sa mort», a expliqué Stéphane Le Foll jeudi matin. Et d'une, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ne le permet pas (lire ci-dessus). Et de deux, le gouvernement a approuvé le durcissement de la peine de sûreté à trente ans pour les terroristes, porté par LR. La porte a aussi été (plus officieusement) fermée par le chef de l'Etat.
Ministres arc-boutés
Pas question de «rouvrir ce genre de débats entre nous» après la déchéance de nationalité, estime François Hollande en privé. Le hic, c'est que certains ministres, arc-boutés contre la déchéance, vont plutôt dans le sens du Premier ministre sur une «vraie perpétuité». Mais comme Devedjian, le patron des députés PS, Bruno Le Roux met en garde contre cette «peine de mort lente». Une dirigeante du PS renvoie aux débats de 1981 sur l'abolition de la peine de mort pour dénoncer une peine qui rendrait «les prisons ingérables»
Ceux qui proposent la perpétuité incompressible sont «des démagogues et des menteurs», tonnait déjà en octobre l'ancien garde des Sceaux de François Mitterrand, Robert Badinter. Dans le sillage du sage judiciaire de la gauche, la foi en la rédemption et le refus de toute peine d'élimination sociale fédèrent une majorité de socialistes. Mais, à l'heure où l'exécutif aimerait pouvoir rassurer après les attentats de Bruxelles, Valls revendique le droit d'ouvrir un débat «légitime». Il veut surtout y voir, confirme un de ses proches, une possibilité de «sortir de la politique bloc contre bloc». Pour un ténor du PS, ce débat est surtout révélateur du désarroi des politiques : «Comme l'ensemble des Français, ils sont totalement dépourvus face au terrorisme. Dans ces cas-là, le plus simple, c'est toujours la course à l'échalote répressive.» A droite, comme à gauche.