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Endométriose : les malades du silence

Une femme sur dix souffre de cette pathologie gynécologique, première cause d’infertilité. Pourtant, les médecins mettent souvent plusieurs années avant de la dépister. Trop de temps perdu.
L'endométriose touche une Française sur dix. (Photo Laurent Villeret. Dolce Vita. Picture Tank)
publié le 29 mars 2016 à 17h51

Il aura fallu dix ans à Anne pour savoir ce qui la faisait tant souffrir pendant les règles, au cours des rapports sexuels avec son mari, voire au beau milieu de son cycle. «J’en ai souvent parlé à ma gynéco de l’époque. Elle me disait que c’était normal d’avoir mal pendant les règles, et que pour le reste, cela devait relever d’un souci digestif»,raconte cette infirmière de 35 ans. La coupable sera finalement démasquée presque par hasard, après une visite chez le médecin, suivie d’une échographie et d’un scanner. Bilan ? Endométriose, maladie qui se caractérise par le développement de muqueuse utérine ailleurs que dans l’utérus. Ces cellules baladeuses vont alors se greffer principalement contre le rectum, la vessie, sur les ovaires ou les trompes.

«Il s'agit de la première cause médicale d'infertilité : 40 à 50 % des femmes qui ont des troubles de la fertilité en sont porteuses», explique le docteur Sylvain Tassy, gynécologue niçois spécialiste de l'endométriose. Environ une Française sur dix souffre de cette pathologie décrite pour la première fois en 1860 par l'Autrichien Karel Rokitansky. Pourtant, un siècle et demi plus tard, elle reste très méconnue.

Un mal protéiforme

«Il faut en moyenne sept ans pour obtenir un diagnostic», s'alarme Nathalie Clary, présidente de l'association Endomind France. Qu'est-ce qui bloque ? Comment améliorer la prise en charge des patientes ? «En réalité, il n'y a pas une, mais des centaines d'endométrioses, précise le docteur Sylvain Tassy. C'est ce qui rend l'analyse médicale si difficile.» La maladie peut atteindre divers stades, toucher différentes parties du corps, se manifester de diverses façons. Seule constante : des règles très douloureuses. Mais là encore, tout n'est pas si simple : la pilule peut provisoirement arranger les choses, masquant la douleur et compliquant le diagnostic.

«C'est souvent quand les femmes pensent à faire un bébé et arrêtent le contraceptif que les ennuis commencent», observe Sylvain Tassy. Les symptômes sont multiples : certaines femmes sont atteintes de troubles digestifs (diarrhées, sang dans les selles, constipation…), d'autres de douleurs quand elles urinent, de rapports sexuels pénibles, de maux de ventre tout au long du cycle, de fatigue chronique… Autant de manifestations pour le moins pesantes au quotidien. «Parfois, j'avais si mal qu'il m'est arrivé de devoir appeler les pompiers et d'atterrir aux urgences, sous morphine», raconte Lily. A 33 ans, cette enseignante se sait atteinte d'endométriose depuis huit ans. Elle est pour l'heure en arrêt maladie. «Une crise brutale peut se déclencher alors que je suis devant ma classe, ou quand je suis au volant, explique-t-elle. La douleur peut se propager jusque dans ma jambe, mais je n'ai pas d'autre choix que de conduire pour aller travailler… Alors je suis un peu coincée.»

«L'impact sur la vie sociale et professionnelle est lourd, appuie Florence Calméjane, vice-présidente de l'association Endofrance. Certaines femmes ne sont tout simplement plus en état de sortir.» Et la vie intime n'est pas épargnée : «Le père de ma fille, dont je suis désormais séparée, a parfois dû me porter tellement j'avais les jambes qui tremblaient, il m'a vue vomir… Ce n'est pas évident», se souvient Lily. Endofrance voit d'ailleurs de plus en plus de conjoints en quête d'informations participer aux tables rondes ou groupes de paroles que l'association organise régulièrement. «Ils ont souvent besoin de comprendre pourquoi leur femme souffre et ce qui se passe dans leur couple», observe Florence Calméjane.

Campagne d’information

La maladie serait-elle taboue ? C'est en tout cas ce qu'estimait en mars 2015 Marie-Anne Mormina, fondatrice du mouvement Lili H contre l'endométriose (dissous depuis), et auteure de la Maladie taboue, paru chez Fayard. «La pathologie associe des douleurs à la maturité de ces femmes, ce qui est sans doute assez difficile à accepter», appuie Sylvain Tassy. Selon le gynécologue, «ces femmes ont souvent du mal à aborder leurs rapports sexuels douloureux, par peur d'être jugées ou mal comprises».

Réfutant l'idée d'un tabou, Florence Calméjane, d'Endofrance, observe au contraire que «les femmes en parlent de plus en plus». De nombreuses célébrités se sont en effet confiées récemment sur le mal dont elles souffrent, jusqu'à devenir ambassadrices d'associations, comme la chanteuse Imany ou la comédienne Laëtitia Milot. L'Américaine Lena Dunham, créatrice de la série Girls, a récemment écrit ces mots sur Instagram : «Je traverse un moment difficile avec cette maladie et mon corps (ainsi que mes géniaux médecins) me font comprendre qu'il est temps pour moi de me reposer.»

Une grande campagne d'information et d'affichage a également été lancée le 8 mars, avec le soutien du ministère de la Santé, histoire de marteler que «les règles, c'est naturel, pas la douleur». Objectif : sensibiliser. Car c'est véritablement là que le bât blesse. «Le sujet aurait-il été mis plus en avant s'il s'agissait d'une maladie d'homme ?» s'interroge Nathalie Clary, présidente d'Endomind, qui se félicite toutefois d'une véritable amélioration ces deux dernières années, notamment grâce à l'organisation d'une marche mondiale, arrivée en France en 2014. Cette année, le rassemblement a eu lieu le 19 mars à Paris. La mobilisation s'affiche aussi en ligne : plusieurs pétitions ont été lancées récemment sur la plateforme Change.org. L'une d'entre elles, simplement destinée à «faire ouvrir les yeux et en finir avec les idées reçues», notamment sur les douleurs au moment des règles, a recueilli près de 15 000 signatures.

Ménopause artificielle

«L'endométriose ne se guérit pas, mais on peut l'accompagner», explique le docteur Tassy. Chirurgie, pilule et ménopause artificielle figurent parmi les options les plus fréquentes. La dernière étant particulièrement dure à accepter quand on n'a pas encore 30 ans : «C'est très contraignant, déplore Lily. Je perdais du poids, j'avais des sautes d'humeur, des bouffées de chaleur… Comme une femme plus âgée. C'est dur sur le plan psychologique. Et le manque de solutions commence à me déprimer.» A tel point que la jeune femme a préféré renoncer aux traitements médicaux et se tourner vers un magnétiseur. «Aucun médecin ne peut réellement me guérir, et ce qu'ils me proposent ne me convient pas», regrette celle qui a désormais une fille de 4 ans.

Anne attend, elle aussi, un enfant, après quatre années de traitements. «Je ne suis pas rancunière, mais je ne peux pas m'empêcher de penser que j'aurais peut-être pu être prise en charge plus tôt . Les professionnels de santé devraient être mieux sensibilisés». Un constat amplement partagé par les associations, qui rêvent de voir l'Hexagone émaillé de centres de référence pluridisciplinaires spécialement dédiés à la prise en charge de la maladie, comme cela se fait en cancérologie, par exemple. Pour l'heure, ce système se met en place doucement, à Rouen, Marseille ou Nice, où exerce Sylvain Tassy. «Les symptômes sont trop souvent ignorés ou traités par le mépris», observe le médecin. «Combien de femmes se sont vues répondre : "C'est psychologique" ou "c'est le stress" ?» renchérit Nathalie Clary, d'Endomind.

En décembre, la Haute Autorité de santé a inscrit l’endométriose à son programme de travail pour 2016 et devrait rendre ses conclusions d’ici l’année prochaine. De quoi mettre à jour les recommandations aux spécialistes, et donc, la prise en charge des patientes.