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Libération
Volte-face

Ecoles à Marseille : la mairie au rattrapage

Deux mois après le reportage de «Libération» pointant le délabrement des écoles, la ville a enfin lancé les rénovations attendues.

A l'école HLM-Perrin, le 31 mars. Les murs délabrés qui étaient recouverts de nappes en papier ont été repeints. (Photo Patrcik Gherdoussi pour Libération)
Publié le 31/03/2016 à 19h31, mis à jour le 31/03/2016 à 19h31

Remplacement de préfabriqués, réfection de toitures, de façades, réparation de sanitaires, de menuiseries… C'est en version gros chantier que le dossier des écoles revient, ce vendredi, sur la table du conseil municipal de Marseille. Au programme : une série de délibérations concernant la rénovation de plusieurs établissements, censées traduire ce que la mairie appelle pudiquement «la poursuite et l'intensification du plan municipal en faveur des écoles». Plus qu'une «poursuite», il s'agit bien d'un changement de braquet sur un sujet qui avait fait du bruit début février.

Souvenez-vous, la séance du conseil municipal du 8 février avait été houleuse : le sénateur et maire (LR) de Marseille, Jean-Claude Gaudin, n'avait pas du tout apprécié le dossier de Libération qui pointait, six jours plus tôt, la gestion calamiteuse des écoles de la ville. Un problème chronique, dénoncé depuis des lustres dans la presse locale. Dernier épisode en date : la lettre ouverte d'une enseignante des quartiers Nord de la ville, Charlotte Magri, qui avait interpellé fin novembre la ministre de l'Education sur ses conditions de travail.

Face à ces vives critiques, le maire avait crié à la cabale politico-médiatique, affirmant que les problèmes ne concernaient que 2 ou 3 établissements sur les 444 que compte la ville… C'était il y a deux mois. Depuis, le ton comme l'attitude ont changé. La mairie débloque des millions pour rénover ses écoles, collabore avec les services de l'Etat et dit même avoir «écouté et compris». Prise de conscience réelle ou poudre aux yeux ? Les plus sceptiques restent sur leurs gardes. Récit des deux derniers mois.

Vacances zélées

Il y a d'abord eu ces menus travaux, lancés en quatrième vitesse par la ville dès le lendemain de la une de Libé. Les agents municipaux, qu'il fallait jusqu'ici supplier, selon les directeurs d'établissement, pour voir une étagère fixée ou un évier débouché, rappliquent désormais au premier coup de fil. Un zèle qui laisse sans voix Fanny Apothéloz, en charge de l'école Ruffi - un préfabriqué coincé entre deux immeubles : «Maintenant, les agents de la mairie viennent tous les jours pour réparer des choses que je demande depuis des mois, c'est énorme. Ils ont même envoyé un contrôleur des travaux faits par la régie, je n'ai jamais vu ça en onze ans !»

Les agents municipaux ont mis le turbo pendant les vacances de février, avec comme première mission d'intervenir dans les écoles citées dans la presse. A commencer par HLM-Perrin, celle de Charlotte Magri, avec ses salles de classe avoisinant les 13 °C et ses trous dans le sol. «Au retour des vacances, les chauffages carburaient, si bien qu'on étouffait !» témoigne, enjouée, l'une de ses collègues. Depuis, les trous au sol ont aussi été rebouchés. La classe photographiée dans Libé, avec ses murs recouverts de nappes en papier, a été repeinte. Autre transformation rapide : à l'école Saint-Louis-Consolat, également dans les quartiers Nord. Une partie des élèves avait cours dans un préfabriqué, posé en bord de route depuis quarante ans. «Avec l'humidité, nos enfants souffraient d'asthme, rappelle Hassan Ailsaid, l'un des parents délégués. Après les articles, les services de la mairie nous ont reçus, tout gentils et mielleux, nous promettant qu'une solution serait vite trouvée.» Au retour des vacances, les deux classes du préfabriqué ont été déplacées : l'une dans la bibliothèque, l'autre dans la maternelle voisine.

Situation ubuesque

En plus des travaux d'urgence, la ville a aussi revu sa copie côté organisation. Premier acte : la prise en compte des fortes carences en matière de personnel municipal. Début mars, Jean-Claude Gaudin annonçait ainsi la «création de 300 postes dans les crèches et les écoles marseillaises», pour pallier le manque d'effectifs régulièrement dénoncé par les syndicats. La ville affiche en effet l'un des taux d'encadrement les plus bas de France. En réalité, il ne s'agit pas de «300 créations» comme l'avance la municipalité, mais plutôt d'une cinquantaine de créations effectives - le reste étant des non-suppressions de postes d'agents existants.

Mais la nouvelle surprend tout de même agréablement Patrick Rué, le secrétaire général FO pour la métropole marseillaise (syndicat majoritaire chez les territoriaux de la ville) : «C'est la première fois depuis longtemps qu'on a des effectifs supplémentaires. Jusqu'à présent, on avait plutôt tendance à combler les carences.» L'annonce avait été faite aux agents dès fin janvier, mais le syndicaliste reconnaît que la polémique a permis d'obtenir plus que prévu. «Ils ont clairement accéléré la machine.»

Autre avancée, la centralisation des demandes des directeurs d'école pour les travaux. L'exercice prenait parfois un tour ubuesque, lorsque l'enseignant, jonglant avec un nombre incalculable de numéros, devait évaluer la taille de la branche à couper ou appeler deux services différents pour obtenir un tableau (un pour le livrer, l'autre pour le poser). «On a écouté les directeurs d'école pour essayer de comprendre la polémique. Cela nous a permis de voir ce qui dysfonctionnait, les messages ne passaient pas bien entre les directeurs et les différents services», reconnaît aujourd'hui Danièle Casanova, adjointe à la mairie en charge des écoles. Le 23 mars, elle annonçait la mise en place immédiate d'un numéro unique. «On s'est sentis agressés au départ parce que vous [la presse, ndlr] y êtes allés un peu fort, mais maintenant, on travaille», dit-elle encore.

Ce soudain changement de pied de la part de la mairie laisse cependant les syndicats d'enseignants perplexes. Voire méfiants. «Si nous accueillons avec satisfaction la mise en place de mesures immédiates, nous souhaitons aussi que cela s'accompagne d'un engagement dans la durée, écrivent-ils dans une lettre commune envoyée début mars au préfet. Comme cela est précisé dans le courrier commun des ministres de l'Education et de la Ville, nous demandons la mise en place immédiate d'instances associant usagers et professionnels de l'éducation permettant d'établir un plan de rénovation des écoles.» L'intersyndicale fait référence à la lettre envoyée début février par Najat Vallaud-Belkacem et Patrick Kanner au préfet de région et au recteur d'académie, leur demandant un audit précis de l'état des bâtiments et de l'utilisation faite de l'argent public. Car pour entretenir ses écoles, la ville de Marseille dispose de fonds publics… pas toujours utilisés, selon les ministères.

Colère en sourdine

Là encore, Jean-Claude Gaudin, qui avait peu apprécié cette mise sous surveillance, semble avoir mis sa colère en sourdine, ses services participant désormais pleinement au travail d'inventaire mené par les services de l'Etat. «Tout le monde a pris la mesure des difficultés et on travaille en bonne intelligence», assure Yves Rousset, préfet délégué pour l'égalité des chances en région Paca. «La donne a changé, ajoute le rectorat, comme pour convaincre. Nous avons des réunions de travail chaque semaine.» La municipalité jouant les élèves assidus, elle a même eu droit à sa récompense : alors que le courrier demandait un compte rendu sous un mois, la visite de la ministre de l'Education, programmée début mars, a été repoussée au dernier moment. Selon nos informations, Jean-Claude Gaudin a demandé un peu de rab, promettant des annonces plus ambitieuses encore. Il vient de débloquer 2 nouveaux millions d'euros qui s'ajoutent aux 3 déjà annoncés pour la rénovation et le fonctionnement des écoles en 2016.

Main dans la main donc, préfecture, rectorat et municipalité ont recensé les problèmes, école par école, et listé les mesures à prendre. Collectifs de parents, élus, enseignants, syndicats, médias locaux ont contribué à la remontée d'informations, et le site Marsactu a lancé un appel à témoignages. Le préfet et le recteur en personne ont visité plusieurs écoles de Marseille - chose rare - pour signifier que le problème a changé de dimension, et se situe désormais en haut de la pile des priorités. Début février, le rectorat parlait d'une «dizaine d'écoles dans un état préoccupant». Maintenant, «des problèmes à des degrés divers sont identifiés dans plus d'un tiers [des 444 écoles de la ville], même si toutes ne nécessitent pas de gros chantiers». Un temps d'inventaire qui s'éternise un peu, selon les syndicats, qui devraient participer en avril au bilan d'étape du plan «écoles de Marseille». En attendant, ils ont déposé cette semaine un «cahier de doléances» à la préfecture pour maintenir la pression, de peur que le soufflé ne retombe.