Ses cent quarante-quatre heures de garde à vue ne l'ont pas rendu loquace. Mercredi soir, Reda Kriket a été placé en détention provisoire à la prison de Fresnes. Il est soupçonné par les enquêteurs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui l'ont interpellé le 24 mars, d'avoir contribué à la préparation d'un attentat imminent sur le sol français. Dans un appartement qu'il louait en liquide à Argenteuil depuis août, les démineurs ont dû neutraliser une quantité et une variété ahurissante d'explosifs. Pourtant, lors de ses auditions révélées en partie par TF1, Kriket est resté extrêmement énigmatique.
à lire aussi Paris-Bruxelles : le point sur les enquêtes
D'abord, Reda Kriket s'est défendu «d'être un terroriste» et s'est vivement démarqué des attentats commis à Paris et Bruxelles : «Je n'ai rien à voir avec ces actions.» A la question de savoir comment tant de produits chimiques ont pu être rassemblés dans son appartement – trois bouteilles d'eau oxygénée, de l'acétone, 105 grammes de TATP, une balance électronique, des seringues, des détonateurs quasiment en état de marche, six fioles de glycérine acide, 1,3 kilo d'explosifs industriels, quatre cartons remplis de billes d'acier, ainsi qu'un ouvrage intitulé le Laboratoire moderne – le natif de Courbevoie (Hauts-de-Seine), 34 ans, s'est contenté de désigner un mystérieux commanditaire, dont le nom de guerre serait Abou Badr : «Il ne parle pas bien le français, il est Maghrébin, il est Libyen […] C'est une personne d'un certain âge, plus âgée que moi, plus de cinquante ans. […] Je l'ai connu par un frère de Belgique. […] Il m'avait juste demandé de lui trouver un appartement pour gagner des bonnes actions. […] Je sais que quand les bidons et les produits chimiques sont arrivés, il passait dans l'appartement. […] Il était tout le temps avec une deuxième personne, ils se ressemblaient.» La même amnésie frappe Kriket au moment où les policiers de la DGSI le triturent pour les cinq kalachnikovs retrouvées.
«Moi, j’aime bien le modèle corse, ils font sauter des choses»
Aujourd'hui, selon Reda Kriket, Abou Badr serait en Syrie : «Il est parti, il est plus là, il est parti en Syrie ou en Irak, cette information est sûre. Il est parti habiter en Syrie faire la Hijra [«l'exil» en arabe, ndlr]. […] Je sais qu'il est parti, il ne reviendra pas à mon avis. […] Il devait aussi partir de France, lui aussi car c'était chaud pour lui. […] Il ne peut plus nuire en France. […] Je ne sais pas s'il était un cadre de Daesh. Il ne disait pas qu'il fallait tuer des gens.»
Par stratégie de dissimulation ou par une naïveté confondante, Reda Kriket assure qu'il croyait que les explosifs étaient destinés au banditisme : «Moi, j'aime bien le modèle corse, ils font sauter des choses, des grandes maisons, mais ils ne tuent pas de gens.» L'interrogatoire dérive vers le mauvais gag lorsqu'il soutient que son passage en Turquie entre septembre 2014 et janvier 2015 n'avait d'autres buts que «s'occuper d'un chat trouvé sur place» et «se soigner les dents». A l'époque, Reda Kriket vivait avec une femme turque qu'il dit avoir quittée depuis.
Enfin, peu d’éléments ont filtré sur la façon dont Reda Kriket a rencontré Anis Bahri. Cet autre Français, né à Montreuil en 1984, a été arrêté le 27 mars à Rotterdam. Les enquêteurs savent que les deux hommes étaient a minima en contact téléphonique puisqu’une carte SIM contenant deux numéros néerlandais (dont l’un a permis de localiser Bahri) a été saisie dans la planque d’Argenteuil.