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Libération
Interview

Gaël Brustier «La social-démocratie européenne doit savoir tendre la main aux forces qui émergent»

Le chercheur Gaël Brustier évoque les formes du mouvement «Nuit debout».
Dans la nuit de samedi à dimanche, place de la République. A Paris comme dans 22 villes de France, on imagine un autre modèle de société. (Photo Martin Colombet. Hans Lucas)
publié le 3 avril 2016 à 20h11

Chercheur en sciences politiques au Cevipol et membre de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès, Gaël Brustier vient de publier A demain Gramsci (éd. du Cerf). Proche de la gauche du PS, il a signé l'appel en faveur d'une primaire des gauches et de l'écologie.

Faut-il voir dans «Nuit debout» l’embryon d’une forme de ZAD en plein Paris ?

Les «zones à défendre» concernent des projets d’aménagement particuliers. Elles remettent ainsi en cause notre modèle productif. Sur la place de la République, on essaye d’universaliser un discours en partant de la contestation de la loi travail.

Vous étiez samedi soir place de la République. Qu’avez-vous vu et entendu ?

La jeunesse et la diversité de l’assistance sont frappantes. On y parlait politique sous une pluie glacée, ce qui révèle quand même un réel optimisme et de la volonté. Il y avait à l’évidence, samedi soir, une quête d’alternative, mais aussi une forme de bienveillance des participants les uns à l’égard des autres.

Alors ces noctambules, plutôt «veilleurs» de gauche ou «indignés» en herbe ?

Une forme d'horizontalité caractérise ces différents mouvements. Nuit debout n'a pas de leader médiatique affiché, même s'il y a des organisateurs, et n'affiche pas de corpus doctrinal prédéfini, tout en prenant appui sur le rejet de la loi travail pour affirmer une quête d'alternatives. Est néanmoins présent un débat qui existait voici quinze ans dans les milieux altermondialistes : peut-on «changer le monde sans prendre le pouvoir» ? Cette thèse de John Holloway avait rencontré à l'époque un certain écho. Elle a été assez populaire chez les indignados de 2011. Elle semble aussi séduire certains noctambules.

Chez les indignados espagnols, il y avait l’idée que la société civile était capable de mieux faire que les élites…

Les indignados ont vu le jour dans le contexte très particulier d'une Espagne à la démocratisation imparfaite et qui a subi la crise de 2008 et l'austérité de plein fouet. Les élites politiques du bipartisme ont failli aux yeux des Espagnols. Ces derniers dénoncent en outre la corruption endémique des responsables politiques. Les indignados questionnent donc le bilan du PSOE et du PP. Podemos est venu, plus de deux ans et demi après, apporter des réponses à ces questionnements.

Il y a des Nuits debout à Marseille, Toulouse ou Lyon. L’enjeu pour le mouvement est-il de se nationaliser ou de s’inscrire dans la durée à Paris ?

Un problème électoral de la gauche «de gouvernement» autant que radicale est sa rétractation sur le cœur des métropoles connectées à la globalisation. S'adresser tant à «l'intello précaire» du XIXe arrondissement qu'aux employés des services, à la jeunesse ouvrière rurale ou aux banlieues est un enjeu politique majeur. La contestation à Paris est très importante mais doit aussi être la projection au cœur de la capitale d'un mouvement national plus vaste.

On imagine mal le gouvernement laisser s’installer un tel campement…

La social-démocratie européenne doit savoir tendre la main ou saisir celle des forces qui émergent. La gauche telle que nous l’avons connue n’existe plus. Ce mouvement social peut prendre de l’ampleur et susciter un processus politique nouveau. Pourquoi entraver son expression ?