Puisqu’on ne parle plus de «couac» - terme passé de mode politique et journalistique depuis l’arrivée de Manuel Valls à Matignon - on ne sait pas trop comment appeler le dernier bras de fer en date entre le Premier ministre et Ségolène Royal, mais cela ressemble très fort à un de ces brouillages à tous les étages dont la majorité a le secret depuis quatre ans.
Après l'écotaxe, le nucléaire, le rejet de boues rouges et le tronçon d'autoroute A 831 à travers le marais poitevin, c'est sur Notre-Dame-des-Landes (NDDL) que la numéro 3 du gouvernement s'oppose à Matignon. Dès réception du rapport qu'elle a commandé à trois experts sur la faisabilité du nouvel aéroport, mardi, la ministre de l'Environnement juge le projet «surdimensionné» et exige qu'il soit recalibré avant même le référendum local du 26 juin. Lisant le même rapport, Manuel Valls estime de son côté qu'il «valide la pertinence du transfert» de l'aéroport actuel de Nantes-Atlantique vers le site de NDDL, ne mentionne même pas le mot «surdimensionné» dans son communiqué et refuse de se prononcer sur d'éventuelles modifications du projet. Deux positions divergentes, voire opposées.
Equilibriste. A la sortie du Conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, sait qu'il marche sur un fil. En (bon) premier lieutenant de Hollande, son numéro d'équilibriste consiste à ne fermer aucune porte, à laisser toutes les interprétations ouvertes. «Le rapport est public, il est disponible pour que tout le monde puisse se faire son avis», élude donc le porte-parole du gouvernement, lui-même personnellement favorable au projet. Avant de se voir contraint d'étayer son raisonnement par l'insistance des journalistes : «Le rapport donne des éléments de calibrage, des éléments techniques. Mais la question qui est posée [au référendum en Loire-Atlantique, ndlr], elle, reste politique.» A savoir : «Etes-vous pour ou contre le transfert de l'aéroport ?» vers NDDL. Stéphane Le Foll prend quand même la peine de répéter deux fois qu'il s'agit là de «la position du gouvernement et du président de la République sur le sujet», mais personne n'est officiellement recadré. Ni Valls ni Royal.
En apparence cela ressemble à l’un de ces non-choix de Hollande régulièrement dénoncés par la droite. En réalité tout se passe comme si le Premier ministre donnait des billes pour voter oui au transfert - histoire de rester cohérent avec la ligne du gouvernement depuis 2012 - et la ministre de l’Environnement multipliait les cartes pour voter non, dans une sorte de main tendue aux écologistes qui sert bien François Hollande. Comme pour la déchéance de nationalité, le chef de l’Etat n’a-t-il pas intérêt à ce que Notre-Dame-des-Landes soit finalement abandonné pour pouvoir commencer à rassembler la gauche ?
Au futur. Au fil de la journée, Ségolène Royal met cependant un peu d'eau dans son vin. Plus question de modifier le projet avant le référendum, mais en cas de vote favorable au transfert de l'aéroport à NDDL, «le rapport s'appliquera, je vous le dis. Ça sera en effet une seule piste. Ce n'est pas la peine de faire croire aux gens que ce sera autrement, 200 hectares seront rendus aux agriculteurs». La ministre use de son arme sémantique favorite : parler au futur et non au conditionnel pour prendre politiquement l'ascendant et marquer les esprits. Grâce au rapport, se félicite la promotrice de la démocratie participative, «les gens vont parler, discuter, s'expliquer, intelligemment j'en suis sûre».
L'objectif est d'ores et déjà atteint : le rapport crédibilise l'idée qu'il existe donc des alternatives à NDDL malgré ce que claironnent les socialistes locaux et une grande partie de l'exécutif. Royal esquisse une double porte de sortie pour Hollande : en cas de victoire du oui, l'aéroport sera plus petit que prévu. En cas de non, ce ne sera pas un reniement présidentiel, mais une victoire de la démocratie participative. Et qui dit nouveau projet dit nouvelle enquête d'utilité publique. Laquelle prendra «une bonne année», a précisé mercredi l'un des rédacteurs du rapport sur NDDL, Nicolas Forray, membre du corps d'inspection du Commissariat général au développement durable et déjà nommé par Royal pour examiner le projet de barrage de Sivens, finalement recalibré. Une bonne année à compter du 26 juin 2016 ? Voilà l'obstacle de la présidentielle de 2017 contourné.