«Vous erronez Maître !» s'agace Redoine Faïd face à Laurent-Franck Lienard, avocat des parties civiles, un poil trop coriace à son goût. Il est 15 heures et le braqueur cinéphile commence à surchauffer. Mais il garde le cap. A vrai dire, il tient le crachoir depuis 10 heures du matin, une bouteille d'eau à la main qu'il ne porte pourtant jamais à ses lèvres – son débit intarissable ne lui en laisse pas le loisir.
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Mardi, on s’est pointé à l’interrogatoire de Redoine Faïd dans la grande salle de la cour d’assises de Paris, comme on irait voir du stand-up, sachant pertinemment que le dossier, instruit depuis déjà plus de cinq semaines, avait peu de chance d’échapper à la loi du silence qui domine les débats et l’instruction depuis le début de l’affaire.
La semaine dernière, Malek Khider, premier interpellé de la bande et le seul à avoir reconnu son implication dans le braquage avorté (pas forcément par choix, c'est chez lui que l'on a retrouvé les armes et les fourgons qui ont mené au reste de l'équipe), a résumé, en deux phrases, la doxa du milieu : «J'ai rien à cacher excepté que je veux pas dire les noms». Car donner des noms, «c'est engendrer du drame au drame.»
La dureté de son accent banlieusard
Néanmoins, le président de la cour d'assises Philippe Roux avait prévu une journée entière dédiée au show Faïd, contre une demi-journée pour les autres prévenus. Et ce, alors que certains sont poursuivis pour des chefs d'accusation bien plus graves, dont le meurtre de la policière Aurélie Fouquet, tuée par les braqueurs en fuite à un carrefour de Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne), le 20 mai 2010. Redoine Faïd, que les magistrats instructeurs ont dédouané de toute responsabilité directe dans la fusillade mais ont identifié comme le «cerveau» du casse foiré et le «dénominateur commun» entre tous les mis en cause, est le dernier des huit accusés présents à être interrogé. Le président a peut-être cherché à garder le meilleur pour la fin, ou tout simplement à se donner du temps. Car s'il ne dit au final pas grand-chose, Redoine Faïd est tout sauf un taiseux quand il s'agit de nier en bloc.
Plus que ses alibis aussi indémontrables qu'indémontables, on retiendra la maîtrise totale du verbe de celui que les hommes de la Brigade de répression du banditisme ont surnommé «l'Ecrivain» depuis la parution de ses mémoires, quelques mois après les faits. Le natif de Creil, biberonné aux films de gangsters de Michael Mann («mon mentor, mon prof de fac», a-t-il écrit dans une lettre au cinéaste, lue à l'audience), est un conteur-né. Il sait dilater le temps en saturant de détails les éléments favorables à sa défense (il connaît le dossier à la virgule près), et dessine de grandes ellipses quand il doit aborder ses «périodes de clandestinité». Il a même une voix de narrateur, à la syntaxe baroque et nourrie de vocabulaire policier, quelque part entre le PV d'instruction et la Série noire. Il parle d'un «mec à l'esprit délinquantiel», rebaptise ses braquages passés de «faits délictuels», utilise plusieurs fois le mot «cocasse», notamment pour désigner une condamnation passée d'un des autres accusés, «qui n'avait rien fait ce coup-là». Il abuse d'expressions datées comme «vaille que vaille» et parle du «parvis de la Bibliothèque du président défunt François Mitterrand» pour évoquer la BNF, décor du tournage du documentaire que son ami Jérôme Pierrat lui a consacré. Il rejoue aussi les dialogues entre lui-même et toutes ces «mauvaises fréquentations qui lui cassaient la tête», sans qui «jamais [il] ne se [serait] retrouvé dans ce box». Il redevient alors Redoine de Creil, dévoilant son accent de banlieusard et une dureté jusque-là insoupçonnée dans son phrasé.
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Surtout, il ne perd jamais son aplomb, quitte à reprendre fréquemment les magistrats : «Je veux nuancer, monsieur le président […], je vais essayer de vous éclairer, madame l'avocate générale […], je voudrais mettre un bémol maître, etc.» Dans le torrent de rhétorique, la mort d'Aurélie Fouquet paraît bien loin – son nom n'est d'ailleurs pas prononcé de la journée. La semaine précédente, la mère de la victime, ulcérée par les circonvolutions des accusés, avait demandé que ces derniers cessent d'invoquer le nom de sa fille, doutant de la sincérité de leur compassion. «On a l'impression qu'on se joue un peu de nous», a-t-elle confié à l'AFP à la sortie de l'audience mardi.
Un «mec au passé délinquantiel»
Qu'est-il reproché à Redoine Faïd ? D'abord, d'avoir été vu sur son lieu de travail à plusieurs reprises avec Olivier Tracoulat, braqueur blessé à la tête dans la fusillade et jugé en son absence. Introuvable, car probablement enterré dans un bois. Les accusés, sans surprise, se sont délestés de la responsabilité de la mort d'Aurélie Fouquet en la faisant endosser à celui dont Faïd ne prononce jamais le nom (c'est lui, le «mec au passé délinquantiel»). Il se contente d'une grimace d'acquiescement quand le président explicite pour le jury. Dans les mois précédant l'affaire, Redoine Faïd, sorti de prison en 2009, est commercial dans une boîte d'intérim. Selon ses dires, il est «harcelé» par Tracoulat, que son frère Rachid, «un abruti fasciné par les bandits», a continué à fréquenter.
Faïd, alors en pleine «rédemption», affirme qu'il a coupé les ponts avec ses anciens complices et autres codétenus, pour se faire une nouvelle bande d'amis : journalistes, acteurs ou producteurs de cinéma (certains sont d'ailleurs à l'audience). Et c'est donc pour mettre fin aux visites de plus en plus insistantes de Tracoulat que Redoine Faïd décide de suivre, la veille du braquage avorté, un «petit jeune» envoyé par ce dernier, qui veut lui montrer quelque chose. Mais ce «petit frère», dont Faïd refuse de révéler l'identité, a subitement «la gastro et le besoin de vomir», et doit céder le volant. Faïd, qui, au passage, n'a jamais passé le permis, se retrouve donc aux commandes de la Renault Mégane, direction Creil. Sur des bandes de vidéosurveillance, on le voit faire le plein dans une station-service, suivi par deux camionnettes. Pour les enquêteurs, pas de doute, il s'agit du convoi qui doit entrer en action le lendemain. Faïd jure n'avoir pas vu les véhicules qui le suivaient. Quant au mytérieux «petit jeune», il est invisible à l'image et son existence n'a pu être prouvé... ni infirmé.
«Blague glauque»
Le 20 mai à 9 h 15, l'un des utilitaires suspects est pris en chasse par la police de Créteil. La course-poursuite s'achève vingt minutes plus tard par la fusillade de Villiers-sur-Marne. Où était Redoine Faïd à ce moment précis ? Ses collègues se rappellent bien l'avoir vu ce jour-là : une des attachées commerciales se souvient d'une «blague glauque» lancée au bureau alors que l'information tombe sur BFM : «Au moins ça peut pas être toi, t'étais là !» Certes, Faïd a bien utilisé le téléphone de la société à 11 h 25, mais personne ne peut affirmer avec certitude son heure d'arrivée au bureau. De toute façon, pour sa défense, Redoine Faïd, repenti plein de projets dans le cinéma et l'édition, était bien trop occupé par sa carrière médiatique pour avoir l'énergie et le temps de mettre sur pied un braquage. Il serait victime de la réputation qu'il a forgé avec tant d'ardeur.
Quand la police l'arrête enfin en juin 2011, après six mois de cavale, elle retrouve sur lui 2 000 euros de billets, provenant du butin d'un autre braquage, commis en mars 2011 sur la nationale 17, et dans lequel est impliqué l'un des membres du clan Hornec, célèbre fratrie manouche du grand banditisme [cette affaire sera jugée en mai prochain]. Pour Faïd, il s'agit juste «d'une petite liasse» de provenance inconnue, qu'un ami, forcément «borderline car c'est les gens qu'on rencontre dans la clandestinité», lui a tendu pour «laver son linge et pour manger». Faïd reprend son souffle et lâche : «Moi je ne suis pas innocent parce que je n'ai rien fait, Maître. Je suis innocent parce que je suis innocent.» Dans le public, une petite dame chuchote : «Quel orateur quand même…»
Le verdict sera rendu le 13 avril. Et quand bien même la défense volubile de Redoine Faïd ferait des miracles, ce dernier n'en aura pas fini avec les prétoires : il doit encore comparaître pour cet autre braquage et surtout pour son évasion hollywoodienne de la prison de Séquedin (Nord), en 2013.