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Libération
Interview

Cécile Duflot «Le marché immobilier n’est pas bloqué, les professionnels se sont trompés»

L’ancienne ministre du Logement, auteure de la loi sur l’encadrement des loyers, répond à ses détracteurs.

Publié le 07/04/2016 à 18h51

C’est à Romainville (Seine-Saint-Denis) que François Hollande effectue ce vendredi un déplacement sur le thème de l’habitat. Objectif : faire valoir le bilan de son quinquennat en matière de logement, à un moment où la construction et le marché de l’immobilier repartent. Pour incarner la politique menée, le chef de l’Etat va notamment visiter un ensemble de 177 appartements comprenant des logements en accession à la propriété, du locatif privé ainsi que du locatif social.

Ce qui lui permettra de rappeler les mesures prises pour favoriser l’investissement locatif, avec le dispositif Pinel, mais aussi l’accession à la propriété des ménages modestes ou moyens en musclant le prêt à taux zéro. Ce programme de Romainville a été réalisé sur un terrain qui appartenait à l’Etat. Cette parcelle, comme 83 autres en France, a été débloquée grâce à la loi de Cécile Duflot, de janvier 2013, permettant de mobiliser les terrains publics. Autant de mesures passées inaperçues en raison de l’hostilité des professionnels de l’immobilier à une autre loi Duflot, la loi Alur, sur l’encadrement des loyers. L’ancienne ministre écologiste du Logement leur répond.

Que dites-vous aux professionnels de l’immobilier, qui ont vilipendé l’encadrement des loyers ?

Le temps des mensonges s'achève. Les oiseaux de mauvais augure se sont trompés. L'encadrement, entré en vigueur à Paris le 1er août 2015, fonctionne. Le principe de cette mesure n'est pas de fixer administrativement les loyers, mais de contenir leur envolée et de juguler les excès. En cas d'abus, les locataires peuvent exercer des recours en diminution de leur loyer. La loi encadre, mais ne bloque pas, contrairement à l'intox véhiculée par certains professionnels. Je rappelle que les loyers médians qui servent de référence à l'encadrement sont calculés à partir des prix du marché. Et pour donner de la souplesse, la loi permet de fixer un tarif de loyer jusqu'à 20 % supérieur au loyer médian. Enfin, si le logement est vraiment exceptionnel, il est même possible de demander un complément. Mais les abus ne sont plus permis.

Les recours de locataires contre des loyers excessifs sont peu nombreux. Les gens connaissent-ils votre loi ?

Pour l’instant, on compte plus d’une trentaine de recours. C’est un début. Grâce au numérique, les jeunes, notamment, se sont approprié la loi. Ils vérifient sur leurs mobiles si le loyer qui leur est demandé est conforme au loyer médian prévu par l’encadrement. Parmi les premiers recours, il y a le cas d’un locataire qui paye 1 250 euros pour un studio de 35 m² face à la gare de l’Est. Un tarif qui est hors des clous. Le loyer maximum possible pour ce logement est de 917 euros. On voit bien, au travers de cet exemple, que l’encadrement est un outil qui permet de lutter contre les abus sans pénaliser le propriétaire : un loyer de 917 euros pour un studio n’est pas indécent. De son côté, le locataire peut économiser 333 euros par mois et récupérer un pouvoir d’achat de presque 4 000 euros par an. Ce qui est considérable. L’encadrement vise un équilibre. Les professionnels de l’immobilier, avec leurs hurlements, auront au moins contribué à faire connaître le dispositif.

Les professionnels du secteur ont dit à l’époque que la loi Alur plombait le marché de l’immobilier. Qu’en est-il ?

En 2015, année de l'entrée en vigueur de l'encadrement des loyers, le nombre de transactions immobilières a augmenté de 15,7 %, indiquent les notaires. En Ile-de-France, la hausse est même de 17 % : Cette progression vaut autant pour l'ancien que pour le neuf. A Paris, où s'applique précisément l'encadrement des loyers, le nombre de ventes est en hausse de 20 %. Ces chiffres montrent qu'ils se sont trompés. Le marché n'est pas bloqué, les propriétaires n'ont pas arrêté de louer leurs logements. Récemment, un responsable de Nexity a admis «qu'on ne constate pas de retrait de bailleurs» sur le marché locatif, alors que le PDG de Foncia - extrêmement critique sur la loi Alur à l'époque - met aujourd'hui la pédale douce parlant «d'un mouvement de retrait de quelques bailleurs mais pas massif» [dans le Monde, le 9 mars, ndlr].

Vos détracteurs ont aussi reproché à votre texte de faire baisser la construction…

Cette accusation était l’une des plus ridicules. Une loi qui n’existait pas encore avait prétendument un impact sur les chiffres de la construction. La réalité est tout autre. La crise financière de 2008 a durement affecté les économies occidentales. Tous les secteurs ont été touchés, y compris l’immobilier, dans toute l’Europe, et donc aussi en France. Les chiffres de la construction obéissent à des évolutions au long cours. Les professionnels du secteur savent parfaitement qu’entre le moment où l’on imagine un projet immobilier et celui où l’on livre les logements, il se passe au minimum trois à cinq ans. Et une fois que le chantier est lancé, l’édification d’un bâtiment est menée au bout. Dire qu’un texte de loi en cours d’examen au Parlement a des effets immédiats sur les chiffres de la construction est totalement saugrenu. C’est une contrevérité. De surcroît, en tant que ministre du Logement, j’ai pris des mesures pour débloquer les ventes de foncier, indispensables à la construction.