On ne l'avait pas vu de la journée. Puis, à environ 15 heures ce jeudi, quelques minutes avant la conférence de presse de François Hollande et Angela Merkel en clôture du 18e Conseil des ministres franco-allemand organisé à Metz (Moselle), Emmanuel Macron a débarqué, échangeant en anglais avec le ministre des Affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier. Tout sourire, il est ensuite allé saluer les dirigeants – de droite – de la région, du département et de l'agglomération. Comment, l'air de rien, prouver aux journalistes présents dans la salle qu'il est normal pour lui d'aller voir le camp d'en face quand on revendique la fin du clivage gauche-droite…
Avec le lancement de son mouvement politique «En Marche !» mercredi soir à Amiens, le ministre de l'Economie a bien plus attiré l'attention sur lui que les maigres décisions – parmi lesquelles la création d'un conseil franco-allemand de l'intégration – prises par Paris et Berlin. D'autant que «l'initiative européenne» portée par la France et l'Allemagne promise depuis des mois a été – encore – repoussée par Hollande lui-même «au lendemain» du vote des Britanniques sur une sortie ou non de l'UE. Tout juste le président de la République et la chancelière ont-ils martelé qu'ils travaillaient «ensemble» sur le dossier des réfugiés. Merkel effaçant au passage les tensions franco-allemandes connues après les déclarations de Manuel Valls à Munich sur sa politique d'accueil. «Des mots difficiles ou critiques ont plutôt tendance à me stimuler qu'à me mettre en colère», a-t-elle plaisanté devant un Valls lui lançant un grand sourire.
«Le petit dernier se fait encore remarquer»
Mais durant cette conférence de presse, Emmanuel Macron a volé la vedette aux autres. Le ministre de l'Economie français n'a pourtant pas la place la plus exposée dans le protocole. Son homologue Sigmar Gabriel étant vice-chancelier, il a droit, lui, à la première place du premier rang au pied de la tribune. A côté du Premier ministre, Manuel Valls. Macron, lui, est relégué, seul, en bout de troisième rang, à portée des journalistes. Derrière ses camarades de la Santé, Marisol Touraine, ou de la Défense, Jean-Yves Le Drian. Quand la dernière question d'une journaliste française arrive, il marmonne un «c'est pour moi». Le Drian, hilare, se retourne vers lui pour plaisanter sur le mode «le petit dernier se fait encore remarquer». La question porte alors sur la «recomposition politique» possible sur une ligne Macron autoqualifiée «ni à droite, ni à gauche». Réponse de Hollande : «Un ministre veut dialoguer avec les citoyens, ça s'appelle faire de la politique et faire en sorte que les convictions puissent être partagées.» Circulez…
«Je cours, moi, je cours !»
Plus tôt dans la matinée, en pleine séance photo et discussions avec Angela Merkel et des jeunes invités par l'office franco-allemand de la jeunesse, Hollande avait préféré en plaisanter. A un journaliste lui lançant «M. Le Président, vous êtes en marche ?», Hollande a répondu : «Je cours, moi, je cours !» Juste avant lui, le Premier ministre s'était montré plutôt agacé. «Je n'ai pas de temps à perdre», a-t-il lancé, regard noir, au même journaliste lui demandant s'il était «en marche» avant une dernière tentative auprès du chef du gouvernement : «Le clivage droite-gauche est dépassé ?». «C'est un beau clivage !», a ironisé Valls. Gênés, les autres ministres ont esquivé les questions sur Macron. «Oh, vous savez, tout le monde commence à s'agiter», a tenté de minimiser Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux Affaires européennes.
Entre deux échanges avec les jeunes, Jean-Marc Ayrault n'a accepté de répondre qu'à des questions sur l'Europe et les réfugiés – «Si on veut sauver Schengen, il faut protéger nos frontières extérieures […] tout ce qui a été décidé doit être mis en œuvre.»La ministre du Travail, Myriam El Khomri, a habilement évité de se retrouver face à un journaliste français. Seule une ex-ministre, la députée de Moselle, Aurélie Filippetti, a volontiers accepté de parler. «Je suis assez choquée, a-t-elle balancé. Lui qui connaît le monde des banques et qui est à son poste de ministre de l'Economie a peut-être mieux à faire avec le scandale des Panama Papers et l'évasion fiscale que de s'occuper de son avenir politique personnel.» Pour l'ex-ministre de la Culture, Macron «ne fait que du bla-bla» : «Il ne dit rien sur le fond. On en a vraiment assez de ces politiques qui ne parlent que d'eux.»
Ce jeudi à Metz, Macron, lui, n’en a pas dit plus. Mais à observer sa bonne humeur du jour, on peut penser – même si ses camarades goûtent très peu ce saut politique en solo – que le ministre était très content de son coup.