Il était le dernier suspect connu de la cellule du 13 Novembre à être toujours en liberté. Vendredi, Mohamed Abrini, Belgo-Marocain de 31 ans, a été arrêté en Belgique, a confirmé une source française à Libération. Le parquet fédéral s'est contenté d'évoquer plusieurs arrestations au cours de la journée, sans révéler l'identité des personnes concernées. Domicilié chez ses parents à Molenbeek-Saint-Jean, Abrini avait été identifié très rapidement après les attentats de Paris et Saint-Denis. Quelques jours avant la tuerie, il a effectué trois allers-retours entre Bruxelles et Paris, au cours desquels il a semé des indices laissant peu de doute sur sa proximité avec les auteurs des attaques.
La séquence débute le 9 novembre, à 14 heures. En compagnie de Salah Abdeslam, son vieux copain du quartier, il est filmé par une caméra de sécurité de la capitale belge en train de recharger 750 euros sur une carte prépayée à un guichet de Bpost. Le lendemain soir, Mohamed Abrini est au côté de Brahim Abdeslam au Blanc-Mesnil, en banlieue parisienne, pour réserver une chambre dans un Appart’City. La location leur sera refusée, justement car les deux hommes veulent régler avec une carte prépayée. Un contretemps qui agace Brahim.
Trajectoire différente
Le 11 novembre, Abrini est au volant de la Clio noire qui transporte Salah Abdeslam vers Paris. Ils sont repérés par les caméras de la station-service de Ressons, en Picardie, à 19 h 45. Quelques heures plus tard, Abdeslam réserve deux chambres à l'Appart'City d'Alfortville (Val-de-Marne), qui serviront au commando du Bataclan. Le 12 novembre, enfin, Mohamed Abrini est l'un des passagers du convoi de trois voitures qui descend vers l'Ile-de-France. Il est assis à côté de Salah Abdeslam, toujours dans la Clio, à la place du mort. Mais à la différence des autres membres du commando, qui vont mettre leurs gilets explosifs, empoigner des kalachnikovs et tuer 130 personnes ce 13 novembre, lui repart à Bruxelles au petit matin en train, seul, à 5 h 30. A partir de ce moment, sa trajectoire diverge du reste des membres la cellule. Son rôle est à part. Dans sa fiche de renseignement, que Libération a consultée, les enquêteurs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) décrivent une «voix douce, les yeux bruns, un accent arabe», ainsi qu'«une chevelure de couleur noire, une corpulence athlétique, une forme de visage arrondie».
«Garçon tranquille»
Jusqu'à l'année 2015, on connaît surtout son passé de délinquant. La base de données de la police belge mentionne son premier vol à 17 ans, un an avant qu'il abandonne sa formation de soudeur. Il récidivera à 21 reprises. Sans compter les arrestations pour détention de drogue, recel, évasion de détenus (trois fois), outrages, menaces, transport d'armes… Abrini a fait plusieurs séjours en prison. «C'est quelqu'un qui aime beaucoup l'argent et qui a manipulé beaucoup d'argent. En fait, il a la réputation d'avoir fait un coup à 200 000 euros, décrit, lors de son audition, un pote de Molenbeek, Ali Oulkadi, suspecté d'avoir brièvement aidé Salah Abdeslam dans sa cavale. Il travaille dans une boulangerie et tout le monde l'appelle "Brioche". C'était un client du café [des frères Abdeslam] qui ne venait pas très souvent.» Mohamed Abrini était effectivement associé dans un petit snack, qui a fait faillite l'an dernier. «C'est un voleur, il n'a jamais parlé de religion ou quoi que ce soit», précise Ali Oulkadi. «C'est un garçon ouvert, tranquille, pas renfermé», décrivait aussi son frère en novembre. Personne n'a jamais noté de dérive religieuse chez l'ami et voisin de la famille Abdeslam.
Peut-on dater la bascule à la mort de son petit frère, à la fin de l'été 2014 ? Souleymane Abrini, de neuf ans son cadet, a passé huit mois en Syrie dans les rangs de l'Etat islamique. Il avait rejoint la même brigade qu'Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur sur place des attentats de Paris, autre enfant de Molenbeek. Quand il a appris son décès, «Mohamed est tombé en pleurs», dit sa mère devant les policiers belges. Le 23 juin 2015, un passager du nom de Mohamed Abrini est présent sur le vol 1 942 Bruxelles-Istanbul de Turkish Airlines. «Il est probablement parti en Syrie et n'a pas passé beaucoup de temps sur place», relèvent les services de renseignement belges. Son ami Abdellah Chouaa, fils d'un imam de Molenbeek, l'a récupéré à Charles-de-Gaulle.
Document «alibi»
L'analyse de ses vols montre qu'au retour, Abrini a transité par l'Angleterre (où il est resté neuf jours) avant d'atterrir à Paris le 16 juillet. A compter de cet été, il est inscrit par les renseignements belges sur une liste d'«individus radicalisés» dans la catégorie «présumé de retour de Syrie». Son lourd casier de délinquant semble être passé au service du jihad.
Le 13 Novembre, de retour de Paris, Mohamed Abrini rend visite à sa famille. Son frère assure lui avoir parlé à 17 heures, au logement familial. A 20 heures, il a un rendez-vous avec sa compagne pour signer un bail à Jette, dans la banlieue de Bruxelles. «Ce document est prévu pour être un alibi», selon une source policière. Dans la soirée, au moment où les hommes qu'il a accompagnés à Paris passent à l'action, le Belgo-Marocain est aperçu pour la dernière fois en compagnie d'Ahmed Dahmani (également soupçonné d'être un logisticien des attentats) dans un café de Molenbeek. Trois jours après, Dahmani sera arrêté à Antalya, en Turquie. Il y est toujours incarcéré.