A République, le bruit a d'abord courru par textos. Pendant ce temps, l'assemblée générale du #38mars de «Nuit debout» – jeudi 7 avril dans le calendrier civil – suit son cours. Vers 20h30, quelqu'un prend la parole : «Est-ce que des gens pourraient aller tout de suite soutenir des réfugiés que la police déloge ?» La situation est confuse, on parle d'un homme blessé par les forces de l'ordre. Environ 200 personnes quittent alors la place de la République au pas de course pour tenter d'arrêter l'expulsion. «On y va en métro ?» s'interroge l'un d'eux. Personne ne répond. «Aller, go, go, go, on se dépêche.» Ce sera à pied. Sur le trajet, certains essayent de contacter des gens sur place pour savoir où en est la situation. Sprint sur les 100 derniers mètres. A l'arrivée, pas un policier en vue. Les réfugiés sont assis, regroupés avec quelques soutiens.
«La police nous a demandé de partir sans nous donner d'autre solution», assure Sajar, 29 ans. Lors de l'intervention des forces de l'ordre, un réfugié a tenté de s'interposer, a pris quelques coups en se débattant, selon plusieurs personnes présentes à ce moment. Blessé, il a été pris en charge par les pompiers. «Les flics sont partis trois minutes avant votre arrivée», explique l'un deux. «On était pas assez nombreux pour repousser la police», assure Anna, 53 ans, une habitante du quartier qui aide les migrants depuis plusieurs mois.
Un réservoir de personnes
Une assemblée générale improbable débute, sous les rails du métro aérien, entre les réfugiés et les soutiens. Les débats sont brouillons, comme tout jusqu'ici. «On les embête peut-être ?» se demande Zoé, une comédienne de 28 ans qui était assise à République lorsque l'annonce a été passée. La discussion patine, faute d'un traducteur et d'un haut parleur. Pour ajouter au désordre, la musique d'une fanfare se rapproche. En décalage total avec la situation, plusieurs personnes leur font de grands signes pour qu'ils arrêtent de jouer.
Amir, 25 ans est, arrivé directement à Stalingrad. C'est la première fois depuis le 31 mars qu'il n'allait pas à l'assemblée générale de Nuit debout. Ce doctorant en mathématiques a reçu un message d'alerte d'une connaissane du mouvement. «Les occupants de République ont commencé à tisser des liens, à s'échanger leurs numéros et à communiquer sur une application de messages cryptés, détaille le jeune homme, désormais, il y a un réservoir de personnes prêtes à agir rapidement pour des lutes communes : le logement, les réfugiés, etc.»
Entre temps, un mégaphone est arrivé. Deux traducteurs aussi, l'un parle arabe, l'autre anglais. La proposition est soumise aux réfugiés de rester à Stalingrad ou de venir s'installer à République. Réponse est quasi-unanime : «Ici !» «On a nos affaires sur le dos. On ne veut pas avoir à revenir demain matin ici parce qu'on se sera fait jeter de République», explique Ali, originaire du Soudan. «S'ils viennent à République, il faut qu'il y ait des soutiens présents. A Stalingrad, un réseau de quartier s'est construit depuis un an. Une cinquantaine de personnes se relaient pour les aider», ajoute Anna.
Maraude
Vers 22 heures, l'assemblée générale continue à Stalingrad. Pendant ce temps, une maraude de l'association des musulmans d'Alfortville distribue des repas chauds et un tasse de café à ceux qui veulent. Les bénévoles semblent ne pas comprendre ce qu'il se passe. La création d'une commission migrants est posée. Une personne conclut : «Le campement, c'est ici et maintenant !» Par petits groupes, les soutiens s'organisent pour trouver cartons, couvertures et palettes pour que les réfugiés ne dorment pas directement sur le bitume.
Le lendemain matin vers 8 heures, une vingtaine de policiers reviennent. Quelques soutiens sont encore sur place. Hasna, qui suit la situation dans le quartier depuis plusieurs mois, ouvre le claplet de son portable : «J'envoie un message aux contacts de Nuit debout, pour leur dire qu'on a réussi à repousser la police, c'est en partie grâce à eux.» Mais la militante se désole surtout de l'éternelle urgence à laquelle font face les réfugiés : «C'est sympa de rester assis à discuter mais à un moment, il faut agir.» Autour, une cinquantaine de migrants se réveillent doucement, à quelques mètres, cinq autres tapent déjà dans une balle de foot. Aucun ne sait si ils pourront dormir ici une nuit de plus.