L'opinion est franchement pour ; les partis sont pour, mais pas franchement. Dans la marche incertaine des primaires à gauche, ces deux informations ont dominé le week-end politique. Un sondage du Figaro réalisé par OpinionWay montre que 64 % des personnes interrogées sont favorables à l'organisation d'une primaire avant la présidentielle de 2017. Le chiffre monte à 75 % parmi les sympathisants de gauche. Ainsi, cette idée prise de haut par une grande partie des commentateurs est-elle plébiscitée par l'opinion de gauche. De toute évidence, les citoyens sont plus lucides que les experts… Les partis ont compris ce hiatus : soucieux de ne pas heurter leur électorat, déjà réduit comme peau de chagrin, deux des principales formations concernées, le PS et les écologistes, ont approuvé samedi, officiellement, l'organisation d'un scrutin préalable à l'élection de 2017.
Victoire pour «Notre primaire», l'appel publié en janvier par Libération ? Certes non, en tout cas pas encore. Ce double acquiescement est assorti d'une myriade d'arrière-pensées. L'exécutif et la direction du PS se méfient d'un processus qui obligera le président de la République à descendre dans l'arène dès la fin de l'automne face à d'autres candidats de gauche, ce qui le privera, à leurs yeux, du prestige dévolu à la fonction élyséenne. Les responsables plus à gauche, communistes, frondeurs ou écologistes, craignent de voir un candidat «social-libéral» désigné par le PS l'emporter lors de ce scrutin, ce qui les obligerait à faire campagne pour lui dès le premier tour. Horrible perspective…
On peut donc craindre que les partis, gagnant du temps, jouant la tactique de l’édredon, posant des conditions inacceptables pour les autres, multipliant les obstacles subreptices tout en feignant de soutenir l’affaire, réussissent à torpiller la primaire pour revenir à leur petite soupe traditionnelle. Dans ce cas, ils commettraient une erreur stratégique. En refusant la primaire, les socialistes courent le gros risque de voir émerger à côté d’eux, outre Jean-Luc Mélenchon, un candidat crédible qui réalise un bon score et leur ôte toute chance de figurer au second tour. En refusant la primaire, les formations plus à gauche, en présentant un candidat commun au premier tour de la présidentielle, ou bien en multipliant les candidatures, avoueraient publiquement qu’elles choisissent la défaite quasi certaine contre tout compromis. Maximalistes et suicidaires à la fois, elles diraient officiellement qu’elles préfèrent une bonne droite au pouvoir plutôt qu’une mauvaise gauche (selon elles).
Des deux côtés, ce serait acter dès maintenant la mort politique de la gauche française et accepter, avant même la bataille, la victoire d’une droite libérale ou nationaliste. On dira que le fossé est désormais trop profond entre les gauches pour qu’elles puissent même s’accorder sur le moyen de régler leurs querelles.
Mais si une gauche social-libérale et une gauche plus audacieuse sont aux prises, pourquoi ne pas demander au peuple de choisir entre elles ? N’est-ce pas qu’on redoute des deux côtés d’être désavoué par les électeurs ? Alors qu’un débat entamé dès ce printemps et poursuivi jusqu’en décembre laisserait tout le temps nécessaire pour confronter les projets, évaluer les bilans, réfléchir à l’avenir et même - on peut toujours espérer - trouver des compromis politiques qui rapprochent les points de vue.
La messe est-elle dite ? La fracture irréversible ? Le divorce déjà prononcé ? C'est peut-être la conviction de responsables qui veulent édicter des anathèmes et procéder, avant toute chose, par excommunication. Pureté dangereuse et à coup sûr impuissante… Ce n'est pas l'avis de la gauche d'en bas, celle des électeurs, qui ne se résignent pas, à l'inverse de représentants qui les représentent mal, à la dispersion stérile de la gauche française ou à sa disparition. C'est pour en débattre que Libération et «Notre primaire» organisent samedi prochain, à Paris, une journée de discussions ouvertes à tous les citoyens.