Menu
Libération
Reportage

Mayotte, au bord de l’insurrection

par Amandine Debaere, Correspondance à Mayotte
publié le 13 avril 2016 à 19h51

Blocage des axes principaux, pénurie dans les supermarchés, chômage technique… Depuis deux semaines, Mayotte vit au rythme de la grève générale. Les syndicalistes, salariés du privé comme du public, réclament «l'égalité réelle» avec l'Hexagone. Ils exigent une application immédiate du code du travail national, des prestations sociales alignées sur la métropole et des mesures pour l'attractivité du territoire.

Chaque jour, dès l’aube, les syndicalistes érigent de multiples barrages sur la route principale, seul axe qui relie les communes du département devenu département et région d’outre-mer en 2011. Incapables de se déplacer ou d’aller travailler, les habitants de l’île ont profité dimanche d’un répit pour se ruer dans les grandes surfaces pour faire des provisions.

Le souvenir de la grève générale de 2011 et de ses terribles pénuries plane encore. Déjà fragile, l'économie locale menace de s'effondrer. Les entreprises sont contraintes de réduire ou de suspendre leurs activités. «Notre chiffre d'affaires a baissé de 80 % depuis le début de la grève», déplore Ben Abdallah, dirigeant d'une société de BTP. Loin de s'essouffler, le conflit se durcit. Lundi, les contestataires ont affirmé leur détermination à maintenir les barrages tant qu'un émissaire ne sera pas dépêché de Paris pour examiner leurs demandes.

A Mayotte, les codes du travail et de la sécurité sociale ne s’appliquent pas encore pleinement. Les Mahorais travaillent 39 heures et l’intérim (souvent réclamé par les entrepreneurs) n’est pas autorisé. Beaucoup de mesures d’aide sociale sont revues à la baisse. Ainsi, le RSA à 262,34 euros sur l’île, contre 524,68 euros en métropole. Impossible aussi de bénéficier de l’aide au logement ou du congé parental.

Tronçonneuse. En marge du mouvement, des casseurs sévissent. Depuis samedi soir, des bandes venues de deux villages s'affrontent. La nuit tombée, des groupes d'une cinquantaine de jeunes effectuent de violentes descentes dans les rues. Accompagnés de chiens, armés de tronçonneuses, de barres de fer, planches cloutées, machettes et autres armes de fortune, ces adolescents au visage masqué détruisent tout sur leur passage. Plusieurs personnes ont été poignardées et un homme gravement blessé a dû être évacué à la Réunion. Une autre victime a été hospitalisée lundi après avoir été attaquée à la tronçonneuse.

Assise sur le seuil de sa porte, une habitante de Cavani se dit terrorisée. Les affrontements se déroulent devant chez elle. Chaque soir, elle entend la police survoler le quartier. La jeune mère raconte avoir vu des enfants d'une dizaine d'années débouler dans la rue : «Ils traînaient des valises à roulettes, comme pour aller à l'aéroport. J'ai ensuite compris qu'elles étaient pleines de pierres. Ce qui me fait peur, c'est qu'ils tabassent n'importe qui. J'ai l'impression qu'on est tous exposés à ce déchaînement de violence.»

Un collectif d'habitants du quartier voisin de M'tsapéré a décidé de porter plainte contre le préfet et le maire de Mamoudzou pour non-assistance à personne en danger. Le 101e département doit aussi faire face à une forte immigration clandestine. On estime que les migrants représentent 40 % de la population de l'île. Ils sont pour la plupart venus de Grande Comore, principale île de l'archipel. Parmi eux, beaucoup de mineurs, souvent non scolarisés et livrés à eux-mêmes, sans perspective d'avenir. En mars, un collectif avait adressé une pétition à l'Elysée pour réclamer des mesures d'urgence et une prise de conscience en métropole. Le texte avait été signé par plus de 12 000 habitants, l'équivalent de 10 % de la population. «Nous ne pouvons plus accepter de voir ces milliers d'enfants errer dans nos rues, visitant les poubelles afin de pouvoir se nourrir», déplorait le collectif.

Renforts. «D'importants efforts sont faits pour mettre à niveau les infrastructures et le droit applicable à ce département ainsi que l'accompagnement social de la population. Cela ne se traduira toutefois par une amélioration du quotidien que si l'on arrive à contenir l'immigration clandestine. Des mesures sont prises à cet effet», avait répondu François Hollande, sans plus de précisions. Mercredi, la ministre des Outre-Mer, George Pau-Langevin, a annoncé l'envoi par le ministère de l'Intérieur de renforts à Mayotte, pour calmer la situation. Soulignant que derrière ces événements, «plusieurs éléments se superposent» : «un mouvement social de revendications» et, «à côté, les comportements de certains jeunes, à la dérive».