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Libération
Panel

Pour François Hollande, des questions sur un plateau

Le chef de l’Etat doit répondre à quatre Français ce jeudi soir sur France 2, un exercice à risques. «Libération» a fait son propre panel.
Le Président interviewé le 11 février sur TF1 et France 2. (Photo Boris Allin. Hans Lucas)
publié le 13 avril 2016 à 22h01

Dans l'histoire politique récente, pas un président ne s'est relancé grâce à une émission de télé. Ils sont en revanche nombreux à s'être abîmés lors d'un face-à-face raté avec des «vrais Français» en plateau. Avant Dialogues citoyens, ce jeudi soir sur France 2, nombre de socialistes ont en tête le souvenir d'un Jacques Chirac totalement dépassé par un panel de jeunes au sortir de la crise des banlieues, en 2005. Pourtant, l'Elysée mise énormément sur ces quatre-vingt-dix minutes en direct du musée de l'Homme, où le chef de l'Etat sera interrogé par des journalistes et des citoyens triés sur le volet. «C'est le bon moment, à bonne distance de la présidentielle, pour évoquer tous les sujets, expliquer tous les choix et écouter toutes les critiques», souligne le communiquant en chef du Président, Gaspard Gantzer. Un visiteur du soir traduit en termes de stratégie politique : «Tout se joue dans les deux mois. Il faut faire nous-mêmes l'inventaire pour qu'on ne le traîne pas pendant toute la campagne.» Mais certains doutent (déjà) des bénéfices d'un tel rendez-vous médiatique. «On n'a jamais raconté l'histoire de ce quinquennat et ce n'est pas avec ce genre d'émission qu'on fera progresser la compréhension des Français», estime un ancien ministre.

Depuis fin mars, tous les cercles hollandais s'attellent à raconter l'histoire d'un président à l'écoute, prêt à nommer les impasses et les erreurs. Sur la déchéance de nationalité comme sur la loi travail. «Les Français ne croient plus au sauveur suprême, le culte est passé, assure un proche du chef de l'Etat. Ils veulent des présidents qui ont des cicatrices, qui savent reconnaître leurs erreurs et qui font évoluer leur position.» Aucune annonce n'est prévue, selon l'Elysée. Le chef de l'Etat veut «expliquer et amplifier» les dernières mesures du gouvernement, jeunes et quartiers en tête. Un registre choral que Hollande n'affectionne pas forcément. Depuis 2012, «n'importe quelle prise de parole comportait le risque d'une annonce, se souvient un conseiller hollandais. Il a trop peur d'arriver le panier vide.»

«Monsieur le président, je suis déboussolée»

Kamir, 44 ans, intermittente à Radio France, active à Nuit debout

Sa vision du quinquennat : «De ces quatre années passées, je garde le sentiment d'une grande trahison. Je fais partie de ces gens qui ont voté Hollande en 2012, moins par adhésion pour le personnage que par volonté d'en finir avec Sarkozy. Je ne m'attendais donc pas à grand-chose, mais au moins à ce que les socialistes, tout sociaux-démocrates qu'ils soient devenus, restent néanmoins sociaux. Or ce fut une grande claque. Je me souviens notamment qu'en janvier 2014, Hollande expliquait encore que «ce n'est pas à un moment de chômage élevé qu'il faut réduire les droits des chômeurs». Deux ans plus tard, le régime des intermittents, dont je dépends, se trouve menacé comme jamais. La réforme qui s'annonce va en effet fragiliser les plus précaires d'entre nous. Seuls ceux qui ont le plus de réseaux, qui travaillent déjà régulièrement, pourront se maintenir dans le système, et seront les mieux accompagnés socialement. Les moins insérés, eux, seront exclus. Plus largement, six chômeurs sur dix, aujourd'hui, ne sont pas indemnisés et neuf millions de Français vivent encore sous le seuil de pauvreté. La loi travail n'est que le dernier exemple : les réformes adoptées sous ce quinquennat ont été des réformes de classe, en faveur des puissants et du patronat, comme aurait pu les voter la droite. Avec, cerise sur le gâteau, le désastreux débat sur la déchéance de nationalité.»

Sa question à François Hollande : «Monsieur le Président, je suis déboussolée. Pour la première fois de ma vie, je ne suis pas sûre d'aller voter. Au-delà du fond, j'aimerais savoir quelle est votre stratégie politique. La gauche du Parti socialiste ne votera pas pour vous, la droite comme l'extrême droite non plus. A quoi vous attendez-vous ? Qui espérez-vous rassembler ? Ne préparez-vous pas, tout simplement, le terrain à un gouvernement de droite «officiel» ?» Propos recueillis par Luc Peillon

«En 2017 je voterai, mais blanc»

Mathieu, 25 ans, chauffeur de VTC, Charenton-le-Pont (Val-De-Marne) 

Sa vision du quinquennat : «J'ai fait un bac pro de comptabilité, mais je ne veux pas travailler dans ce secteur qui m'ennuie. Je préfère travailler la nuit. Je vote depuis que j'ai 18 ans. Toujours à gauche. Quand j'ai choisi Hollande en 2012, je n'attendais rien de spécial de lui. Je l'ai choisi car j'avais confiance en lui. Mais maintenant, pour moi, tous les candidats sont les mêmes. Je croyais que Hollande en tant que président serait réglo par rapport à ses promesses. Mais après ses quatre ans à l'Elysée, je n'attends désormais plus rien de la politique. Une chose est certaine, je ne voterai plus à gauche. Mais ce n'est pas pour autant que je voterai à droite à la présidentielle.

«Sur les promesses de Hollande qui disait qu’il allait privilégier la jeunesse par rapport à la finance, je ne suis finalement pas déçu, car à la réflexion je n’ai jamais cru à ses promesses. Je n’ai jamais été persuadé qu’il allait les tenir. Pour travailler ou chercher un travail, je n’attends rien de l’Etat. Quand je veux bosser, je me débrouille tout seul. Là, je cumule mon travail de chauffeur VTC avec un boulot de serveur dans un bar. Pour être sincère, je n’ai jamais galéré pour trouver du travail. Quand je me réveille le matin et si je veux taffer, je trouve toujours. Je pense que c’est plus compliqué de trouver de quoi bosser pour des gens qui ont un bac + 5, qui sont très diplômés et qui du coup coûtent cher pour un employeur, que pour des gens comme moi. Eux, ils ne vont pas aller travailler au McDo, comme les potes qui n’ont pas de qualification. Et quelqu’un qui n’a pas de diplôme, ou alors un CAP ou un BEP, sera évidemment beaucoup moins regardant sur le job qu’il va accepter.»

Sa question à François Hollande : «Je n'ai aucune question à lui poser. Pour moi, maintenant, c'est sûr : la politique, c'est juste de la mise en scène… Vous me parlez de gauche et de droite ? Franchement, pour moi tout cela ne veut plus rien dire. Est-ce qu'un président a déjà tenu ses promesses de campagne ? Je n'en connais aucun. Vous, oui ? En 2017, je voterai blanc, c'est certain. Mais je voterai.» Propos recueillis par Philippe Brochen

«La bascule, ça a été les rythmes scolaires»

Emilie Pineau, 37 ans, professeure des écoles en zone REP, à Bègles (Gironde) 

Sa vision du quinquennat :«Au début, j'avais l'impression d'un gouvernement plus à l'écoute que les précédents, qu'il y avait plus de projets pour l'Education nationale, qu'ils partiraient plus de notre ressenti de profs que les autres. Les créations de postes, ça n'est évidemment pas une mauvaise chose mais on en parle et on ne voit personne arriver dans nos écoles alors que proportionnellement, nos classes ne sont pas moins chargées. Et comme les assistants d'éducation et les enseignants spécialisés ont été supprimés, c'est le contenu de nos enseignements qui s'en ressent. Il y a forcément, à un moment, des enfants qu'on laisse de côté. On se retrouve seuls, avec de nombreux [élèves] non francophones qui [finissent] à l'écart. C'est très culpabilisant pour nous. C'est pareil avec les enfants handicapés. Sous prétexte d'une école ouverte à tous, ce que j'approuve, on les délaisse faute de personnel formé. C'est presque de la malveillance. «La vraie bascule, ça a été la réforme des rythmes scolaires : je ne perçois pas les effets soi-disant bénéfiques, au contraire. Pour les familles en difficulté, la garderie est payante à partir de 16 heures au lieu de 16 h 30 ou 17 heures, et c'est un budget que beaucoup n'ont pas. Tout le monde est déçu et beaucoup d'enseignants disent qu'ils n'iront pas voter, même si tout le monde est assez effrayé de ce que pourrait faire la droite dans l'éducation si elle revenait au pouvoir. Hollande, on a l'impression qu'il n'a rien fait. Il y a un vrai problème de communication. La prime pour les enseignants des réseaux éducation prioritaire (REP), c'est une reconnaissance de notre boulot malgré tout. Le mariage et l'adoption pour les couples homosexuels, c'est le symbole d'une ouverture d'esprit qui me va bien. Mais pour toutes les réformes, on a le sentiment qu'on oppose les gens plutôt que de les rassembler autour des idées.»

Sa question à François Hollande : «Il reste un an, comment pouvez-vous trouver les moyens de recréer en quantité suffisante des enseignants spécialisés pour accueillir les enfants non francophones ou handicapés qu'il faut pouvoir intégrer ?» Propos recueillis par Laure Bretton

«Les résultats ne sont pas là»

Jean-Marc, 62 ans, retraité de La Poste, au Puy-en-velay (Haute-Loire) 

Sa vision du quinquennat : «Reconnaissons d'abord qu'il est devenu difficile de gouverner. Je ne voudrais pas être à la place de Hollande ! Mais il y a trop de flou dans sa politique. Soit le cap n'est pas clair, soit il n'est pas tenu. J'ai l'impression que les projets sont mal ficelés. La loi El Khomri est devenue un gros fourre-tout. Et puis, tout traîne, se complexifie… Comme pour l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. A un moment, il faut peut-être trancher, faire preuve de courage. Si le nouvel aéroport n'est pas justifié, faisons des aménagements sur l'existant. Il devrait se concentrer sur des choses simples et les mener à bout.

«Son quinquennat a aussi été marqué par les reculades. C’est vraiment dommage d’avoir fait marche arrière sur l’écotaxe alors que là, pour le coup, tout était en place. Finalement, il n’y a qu’au niveau militaire que ses positions sont claires, qu’il décide. Hollande est quelqu’un de sympathique et chaleureux, moins agité que son prédecesseur. Mais j’ai voté pour un changement, pour ses engagements en faveur du travail, de la jeunesse, de la baisse du chômage. A l’arrivée, les résultats ne sont pas là, il n’a pas assez tenu compte du point de vue des jeunes. Cela dit, j’ai apprécié le mariage pour tous et la mise en place de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Quoi que sur ce dernier point, il y a encore des efforts à faire. D’ailleurs, j’aurais aimé que le gouvernement donne l’exemple, réduise son train de vie. Ce ne sont pas de grosses économies, mais c’est une question de principe, de symbole. Ils donnent l’impression d’être coupés de la réalité alors que les Français doivent se serrer la ceinture. Quant à son ennemi, la finance, il pourrait être moins dans la parole et agir. Sans parler de l’affaire Cahuzac qui a plombé son quinquennat, il aurait pu lutter contre les paradis fiscaux, agir. Et j’aimerais qu’il veille à préserver notre système de santé, fondé sur la solidarité et la redistribution, il ne faudrait pas qu’il dérive vers un système à l’américaine.

Sa question à François Hollande : «Vu ce flottement qui favorise la montée des extrêmes, et les engagements non tenus, oserez-vous vous représenter ?» Propos recueillis par Noémie Rousseau