La gauche est-elle morte ? Moribonde ? Ou en sursis, promise à une prochaine disparition ? C'est la vraie question posée par cette primaire citoyenne qu'un groupe de militants et d'intellectuels a proposée et que Libération a popularisée.
Si cette primaire est impossible, cela signifie une seule chose : non seulement que la gauche est divisée, mais aussi qu’elle n’est pas capable de trouver une procédure, une méthode, un chemin pour réduire ses querelles. Et donc que la fracture est trop profonde pour qu’on puisse imaginer les moyens mêmes du dialogue. Qu’en est-il en réalité ? Le fossé est-il infranchissable ? La détestation trop forte ? La discussion impossible entre les fractions divergentes, entre les courants antagoniques ? Un simple examen des différences montre qu’il n’en est rien. A moins de sombrer dans le sectarisme suicidaire, dans l’exigence irresponsable de pureté, la gauche garde ses valeurs communes, ses repères partagés, ses passerelles et ses connivences. Prenons cette loi El Khomri que les militants courroucés jugent inacceptable. Remarquons d’abord qu’elle a été changée. La protestation des jeunes et des syndicats a fait fléchir le gouvernement, qui cherche maintenant, au grand dam du Medef, un accommodement, un arrangement, un compromis avec ceux qui ont été ses électeurs. Débarrassée de ses dispositions provocantes, elle est acceptée pour l’essentiel par la CFDT. Serait-ce un syndicat de droite ? Une organisation anti-ouvrière ? En fait, une partie de la gauche se demande si la rigidité du marché du travail ne se retourne pas contre l’intérêt des salariés et, surtout, contre les chômeurs. Elle peut se tromper. Mais est-ce une trahison ? Une apostasie ? Ou plutôt une interrogation devant la persistance d’un chômage de masse qui désespère la société, et qu’on est prêt à combattre par des moyens hétérodoxes ? Tel est le vrai débat, qu’on ne tranchera pas ici, mais qui autorise la discussion.
Déviation. Prenons encore ces aides aux entreprises, le crédit d'impôt (CICE) et les autres mesures de ce genre, destinées à restaurer les marges des entreprises. Est-ce une déviation diabolique ? Ou bien une traduction de l'idée simple selon laquelle des entreprises trop faibles n'embauchent pas, et que le retour des marges leur permettra de créer des emplois. Vade retro Satanas ? Les frondeurs, inépuisables dans leurs philippiques, exigent que ces aides soient conditionnées, que le patronat, en quelque sorte, renvoie l'ascenseur et embauche sur le champ en échange des faveurs qui lui sont faites. Pourquoi pas ? Mais c'est bien que les frondeurs acceptent, eux aussi, le principe d'une aide aux entreprises. Leurs chefs de file, Martine Aubry, ou bien Arnaud Montebourg, ne sont pas voués à la destruction du capitalisme. Ce sont des gens d'entreprise, qui comprennent aussi bien qu'un Macron les exigences de l'économie de marché. Ils se distinguent de Hollande ou de Valls sur les moyens de parvenir au même but : renforcer les entreprises pour favoriser l'emploi. Où est le schisme ? En quoi ce différend est-il définitif ? Il s'agit, dans les deux cas, de se porter au secours du marché dans un but social, de concilier liberté économique et souci de la justice.
Destin commun. On pourrait multiplier les exemples, sur la lutte antiterroriste, précieuse à tous, sur la laïcité, qu'on veut défendre, même avec des outils différents, sur l'éducation, qu'on veut plus égalitaire. C'est l'espoir porté par cette idée de primaire : au-delà des polémiques les plus violentes, il existe encore un langage commun, une complicité historique, une manière de voir similaire. C'est peut-être la vraie raison de la dureté des paroles : chacun enrage de voir l'autre s'écarter du destin commun et l'accuse de tous les maux. Mais si les propos des protagonistes sont amers, c'est que tous savent qu'ils font partie de la même famille.