Le 101e département français est confronté à une grève massive depuis le 30 mars. Les manifestants réclament un traitement plus égalitaire vis-à-vis de la métropole, mais aussi plus de moyens consacrés à l'éducation et à la lutte contre l'insécurité. Des casseurs sévissent en marge du mouvement. Retour sur les raisons d'un malaise.
Mayotte, territoire français depuis 1841
Située à 8 000 km de la métropole, il s'agit bien d'un département français. Dans l'archipel des Comores, à 300 km des côtes de Madagascar, Mayotte est formé de deux îles principales, auxquelles s'ajoutent une trentaine de petits îlots. En 1841, l'ensemble — 376 km2 — est acheté par la France de Louis-Philippe auprès du monarque malgache de l'époque, Andriantsoly.
La population mahoraise a depuis noué un lien avec la métropole qu'elle a eu l'occasion de confirmer dans les urnes. Lors d'un référendum organisé le 29 mars 2009, 95% des votants choisissent de rester rattachés à la France. Deux ans plus tard, en 2011, Mayotte devient le 101e département français (numéroté 976).
Sur place, une situation sinistrée
Mayotte est le plus défavorisé des départements d'outre-mer. Plus d'un quart de ses 225 000 habitants vit sous le seuil de pauvreté, alors que les prix dépassent de 7% ceux de la métropole, selon l'Insee. 71% de la population n'a aucun diplôme qualifiant. Près d'un jeune de 16 à 18 ans sur deux est en situation d'illettrisme. L'accès à l'emploi est difficile : seulement trois Mahorais en âge de travailler sur dix ont un emploi. En métropole, c'est quasiment le double, avec 64,3% de taux d'emploi chez les 15-64 ans.
Mayotte fait aussi face à une très forte immigration clandestine : les étrangers représenteraient 40% de la population totale, toujours selon l'Insee. Ils sont pour la plupart venus des Comores, un archipel situé à seulement 70 km. Parmi eux, beaucoup de mineurs, souvent non scolarisés et livrés à eux-mêmes. En 2014, près de 20 000 migrants ont été reconduits à la frontière.
Deux semaines de colère
Le 30 mars, plusieurs syndicats (CGT, FSU, UD FO, l'UIR CFDT, SAEM, SNUipp et Solidaires) coordonnent une grande grève pour réclamer une «égalité réelle» entre Mayotte et la métropole. Un premier mouvement avait été lancé dans ce sens en novembre, avant d'être abrégé par l'état d'urgence.
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Depuis deux semaines, les grévistes, venus du public comme du privé, bloquent chaque jour les routes principales qui relient les différentes communes. Les habitants se retrouvent coincés, incapables de se déplacer ou d'aller travailler. Le conflit nuit à l'économie — certains Mahorais parlent d'une chute de 80% de leur activité — et ravive la peur des pénuries de 2011, quand un mouvement similaire avait été lancé.
Surtout, la situation s'enlise et profite aux casseurs. Des bandes s'affrontent, armées de barres de fer, de planches cloutées, et même parfois de tronçonneuses. Des attaques au couteau sont observées. La population craint pour sa sécurité.
La revendication d’une «égalité réelle»
A Mayotte, les grévistes estiment être traités comme des citoyens de seconde zone. Le code du travail mahorais n’intègre pour l’instant que 25% de la législation française. Les salariés sont aux 39 heures, et le recours à l’intérim n’est pas autorisé.
Les prestations sociales sont également dévaluées par rapport à celles touchées en métropole. Le RSA, fixé à 524,68 euros en métropole, ne s’élève qu’à 262,34 euros sur l’île. Impossible aussi de bénéficier de l’aide pour le logement ou du congé parental.
Les grévistes réclament donc l’application du code du travail national et l’alignement des prestations sociales. Ils demandent aussi plus de moyens consacrés à la lutte contre l’insécurité, la construction en urgence de nouvelles infrastructures scolaires et l’abandon du projet de loi El Khomri.
Le gouvernement appelle à la patience
La ministre des Outre-Mer, George Pau-Langevin, a annoncé une réunion ce vendredi matin entre les directeurs de cabinet des ministères concernés et les syndicalistes mahorais. «La semaine prochaine, il y aura un retour à Mayotte de la mission du ministère du Travail qui examine ces questions de rattrapage, de cotisations sociales et de retraites», a-t-elle ajouté.
Selon Légifrance, le code du travail national a vocation à être intégré dans la législation mahoraise au cours de l'année 2017. «Quasiment tous les quinze jours, vous avez une ordonnance du Conseil des ministres qui instaure à Mayotte une partie du code du travail», a assuré la ministre.
C'est donc un appel à la patience et à l'apaisement qu'a lancé le gouvernement. «Nous avons le plan Mayotte 2025 avec construction d'écoles, mise en place de l'assainissement, a rappelé George Pau-Langevin. Nous avons prévu environ 300 millions pour ce plan. La volonté est là. Mais il faut faire une chose après l'autre.»
La ministre des Outre-Mer a par ailleurs annoncé l'envoi sur l'île de renforts en provenance de la métropole pour faire face aux «comportements de certains jeunes à la dérive, qui ne sont pas encadrés et n'ont pas de perspectives».