Revenu de Base«Inconditionnel, inaliénable et universel»
Certains veulent «supprimer le marché du travail», d'autres proposent de «mettre en place une échelle des salaires». Jeudi 7 avril, place de la République, à Paris, la commission économie étrenne ses idées. Une proposition fait mouche : «Réfléchir à un revenu universel minimal». L'idée n'est pas neuve : depuis le 31 mars, elle revient souvent dans la bouche des militants lors des AG. Qu'on le nomme «universel», «de base», «d'existence» ou «inconditionnel», ce revenu versé à tous sans condition est théorisé depuis des années par des courants de pensée très divers, voire opposés. Les participants parlent «ubérisation», «fin du salariat», mais aussi évolution de l'économie et avenir de la Sécu. Le 10 avril, des experts du sujet sont appelés en renfort, lors d'une journée «Travail, salaire à vie et revenu de base : pour des alternatives, redéfinir ce qu'on nous a appris». Première à prendre le micro, Nicole Teke, du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) plaide pour la «distribution d'un revenu de base de la naissance à la mort», à condition qu'il soit «inconditionnel, inaliénable, universel et individuel». Le but ? «Avoir le choix, décider de ce que l'on veut faire de notre vie, de travailler ou non, de travailler à temps partiel […], de partager son temps avec sa famille, de faire des activités culturelles». Soit, résume la jeune femme : «Avoir le choix et ne pas perdre sa vie à la gagner.» D'autant que, souligne-t-elle, «la croissance ne reviendra pas, le chômage ne va pas disparaître non plus». Quant au montant, il peut aller du RSA - «une première étape» - jusqu'au Smic. Plusieurs pistes de financement sont évoquées par la militante : impôt sur le revenu, taxation sur les transactions financières ou les grandes entreprises du Web, taxe carbone, création monétaire… Preuve de l'intérêt du revenu de base, plusieurs pays ont déjà fait un premier pas en sa direction : la Suisse organise un référendum sur le sujet en juin et la Finlande l'expérimentera dès 2017. Mais, prévient Baptiste Mylondo, enseignant-chercheur en économie qui défend l'idée d'un «revenu inconditionnel», une distinction doit être faite entre les différentes propositions. Celles «de droite, de gauche et de ni droite ni gauche». La première, libérale, consiste à «verser un revenu inconditionnel volontairement insuffisant et de libéraliser totalement le marché du travail, en supprim[ant] au passage le Smic». Dans la version de gauche, pas question en revanche de toucher «au système assurantiel», même si, le système «assistanciel» pourrait être revu, avec notamment, la fin du RSA. Entre les deux, la troisième version, qu'aurait choisi la Finlande, se contente de «simplifier le système socio-fiscal». Lui, défend une version «de gauche», couplée au développement du «modèle coopératif», à la reconnaissance de «la pénibilité comme critère de justice dans les inégalités de rémunérations» et la «réduction du temps de travail». Quant à Stéphane Simard, du Réseau Salariat, troisième intervenant, il milite, lui, pour «le salaire à vie». Une distinction «sémantique» importante, pointe-t-il, car «la reconnaissance du travail se fait par le salaire». Autant de points de vue illustrant la diversité du sujet.
Prix libreUne cantine où «chacun donne ce qu’il peut»
Sous la tente de fortune, des brocolis un peu fatigués attendent patiemment qu'on les traite, comme les pains mollement étendus sur les tréteaux. Il pleut à verse sur la place de la République. La «cantine prix libre» n'est pas encore ouverte, il n'y a personne à la commission restauration, et tout le monde se renvoie le journaliste comme une patate chaude : «Ah non, moi je fais juste les pancartes, allez voir là-bas !» Sur le présentoir : sandwiches, soupes à base de récup de Rungis ou d'achats faits grâce à des dons, préparés par des bénévoles, à côté des stands de merguez et de kebabs, payants, eux.
Heureusement, le dialogue a pu se faire par voie de mails avec un porte-parole du mouvement, expliquant que «la cantine à prix libre s'est imposée dès le départ pour nourrir les participants. Sans énergie, on ne peut pas réfléchir ni se battre». C'est certain. «Le mouvement n'a pas pour but de faire de l'argent, donc aucun prix n'est fixé et chacun donne ce qu'il peut en fonction de ses moyens et de la valeur qu'il donne à la nourriture qui lui est proposée.» Avec les revenus des ventes, la commission cantine «dégage ensuite des bénéfices qui permettent d'acheter de la nourriture et des boissons, mais aussi de s'équiper en bâches ou en matériel électronique.» A défaut d'explication à Répu sur la notion de prix libre, en cette heure de rush aux fourneaux, détour par ceux qui ont déjà expérimenté la chose.
Comme Aladdin, créateur, il y a cinq mois, du Freegan Pony, restau squatteur et antigaspillage alimentaire, à 80 couverts par soir. Si le concept conduit à donner ce que l'on veut, cela ne signifie pas que c'est gratuit : «Le prix libre, ça veut dire la mixité sociale, explique le trentenaire. Contrairement au prix fixe, avec lequel vous avez toute une partie de la population qui ne vient pas, ça permet de réunir ceux qui ont les moyens, et ceux pour qui cinq euros, ça veut dire trois paquets de pâtes pour finir le mois, pas un repas.» Le prix libre, détaille Aladdin, c'est «le prix qu'on estime juste en fonction de ses moyens du moment». Lui ne parle plus de riches ou de pauvres, mais d'une précarité installée, «qui fait qu'un mois j'ai un peu d'argent, le mois suivant que dalle».
Une idée solidement validée par Nuit debout : «C'est également une façon d'instaurer la confiance et de faire appel aux consciences. Finalement, ce prix libre est une belle façon de résumer l'esprit du mouvement.»
TravailTravailler oui, l’un contre l’autre, non…
Difficile de dégager des positions tranchées de Nuit debout sur l'économie. «On est encore dans le débat, rien n'est arrêté», insiste Kevin, l'un des membres de la commission. Ce dimanche, cependant, trois motions seront soumises au vote de l'assemblée générale : la première contre la loi travail, la deuxième contre le traité de libre-échange transatlantique Tafta, et la troisième pour dénoncer la tournure prise par les négociations sur l'assurance chômage. A défaut d'un texte légitimé par la place de la République, il faut donc se plonger dans la dizaine de comptes rendus des différentes réunions qui s'y sont tenues depuis dix jours. A défaut de consensus, plusieurs idées récurrentes ressortent, qui donnent la couleur des échanges. Cohérents avec le souci de tourner le dos au modèle productiviste, les membres de la commission éco veulent avant tout redéfinir la notion de travail. En y incluant, notamment, «ces activités [travail domestique, artistique, éducation des enfants…] qui sont des activités à part entière, essentielles à la vie, […] et qui ne sont pas considérées aujourd'hui comme productives au sens capitaliste, parce qu'elles […] ne permettent pas de valoriser un capital». Jeunes, souvent précaires, les «Nuit debout» ne sont pas non plus contre l'évolution du salariat. Certains proposent même de «ménager un espace pour ceux qui ne peuvent pas travailler, ou qui veulent travailler de manière flexible - eu égard à l'utopie technologique du tout automatisé». Pas d'opposition, également, à la robotisation, qui pourra suppléer aux métiers dits «indécents». A condition, cependant, de l'articuler avec l'instauration d'un revenu de base. Les Nuit debout, par ailleurs, ne sont pas les ennemis de l'entreprise. Mais, attachés au «produire local», ils se positionnent en défense des TPE et PME. Thème majeur des débats, enfin : «sortir de la logique concurrentielle» entre salariés. D'où le refus de l'inversion de la hiérarchie des normes portée par la loi travail, où un accord d'entreprise pourra supplanter un accord de branche. Et générer un risque de dumping social. Dans cette idée, même les coopératives représentent un danger, dans la mesure où elles seront en concurrence entre elles. «Sauf à mettre en place de nouvelles structures et méthodes afin de les protéger.» Travailler oui, de façon indépendante, voire en dehors du salariat classique, pourquoi pas, mais pas l'un contre l'autre, semblent dire les Nuit debout.
Féminisme«Un endroit où parler des solutions possibles»
«C'est ici la commission féministe ?» Foulard coloré sur la tête pour se protéger de la pluie battante, Fabienne, 34 ans, s'approche, un brin hésitante, du petit groupe qui commence à se former place de la République. Comme chaque fin d'après-midi, une quinzaine de personnes de tous âges y parlent parité, combats et difficultés quotidiennes, dans un groupe non mixte. «Cela permet de débloquer la prise de parole des femmes et des personnes LGBT, notamment sur des sujets difficiles comme le viol; loin des assemblées générales et de leur univers très masculin», salue Samira, 27 ans. Accroupies sous une bâche de fortune, un porte-voix en carton à la main, elles égrènent tour à tour leurs envies, propositions, ras-le-bol. «C'est bien d'avoir un endroit où parler des femmes, de la précarité de leur travail, des solutions possibles», se réjouit une quadragénaire. Au cours de la semaine écoulée ont ainsi été abordés, pêle-mêle, la sécurité des travailleuses du sexe, la place des femmes dans les religions, les inégalités salariales, la lutte contre le sexisme… La commission a d'ailleurs décidé d'un signe à brandir pour pointer tout acte ou parole sexiste dans les AG : un triangle index vers le haut, emblème d'Act up, choisi en mémoire des victimes homosexuelles du régime nazi. Ce jeudi-là, Estelle, rêve «d'actions concrètes : jeter de la peinture rouge sur les machos ? Instaurer une patrouille de vigilance contre les violences verbales ou physiques ? On aurait toutes des anecdotes à raconter sur ce que c'est d'être une femme au quotidien, ou à la Nuit debout», où certaines font état de «mains aux fesses». Fabienne propose pour sa part un atelier sur la sexualité et le genre. «Passé le système éducatif, il ne reste plus qu'Internet, où se mêlent du très bon et de l'horrible, pour se renseigner» , argumente cette ancienne prof de SVT. Elles sont nombreuses, ce jour-là, à venir pour la première fois à la Nuit debout. «On pourrait installer une urne qui recueillerait les questions des uns et des autres de manière anonyme et y répondre ?» propose une jeune femme brune. Banco : un petit groupe de travail décide de plancher sur le sujet dans les jours à venir. Un autre s'organise autour d'un atelier d'écriture, pour créer un «info kiosque féministe» , fait de brochures et «d'écrits qui donnent la pêche», à l'image du King Kong Théorie de Virginie Despentes. Pour René, 27 ans, qui se définit comme «militant trans et féministe», «être ici est un moyen de réfléchir aux combats qu'il nous reste à mener chez nous, en France : faciliter le changement d'état-civil des personnes trans, mettre fin aux mutilations des intersexes… En fait, se réapproprier l'espace public en tant que femme ou trans.»