Les trains Intercités ont des amis au sein du Conseil d'Etat. Et notamment les trains de la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT). Dans une décision rendue vendredi, la plus haute juridiction administrative de France a annulé le décret datant de janvier 2015 déclarant d'utilité publique la ligne à grande vitesse (LGV) Poitiers-Limoges. Elle a invoqué des «insuffisances» de l'évaluation économique et sociale, mais aussi des inconvénients qui «l'emportent» sur les avantages. Un acte important, à l'heure où se négocie l'avenir du réseau intercités et où, de l'aveu du président démissionnaire de SNCF Réseau, Jacques Rapoport, la priorité absolue doit être portée sur la rénovation du réseau ferré français, quitte à suspendre les projets de développement.
La LGV Limoges-Poitiers doit relier la ligne de TGV Paris-Bordeaux et mettre ainsi l'agglomération limousine à deux heures de la capitale. Les travaux avaient été déclarés le 11 janvier 2015 «d'utilité publique et urgents» par le gouvernement. Mais plusieurs associations ont affiché leur opposition et ont saisi le Conseil d'Etat. Plutôt que d'investir dans une nouvelle ligne TGV, ils défendent la modernisation de la ligne existante, Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT). La Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut), aujourd'hui très satisfaite, fait partie des associations qui avaient déposé un recours en annulation de la déclaration d'utilité publique. Elle dénonce ce projet qui «aurait asséché la POLT dont la desserte serait passée de 11 à 4 allers-retours quotidiens». Selon les opposants, le détour par Poitiers aurait mécaniquement pénalisé les gares des villes moyennes situées sur la POLT entre Paris et Limoges, dégradant le maillage ferroviaire dans cette région.
La Cour des comptes avait aussi dénoncé le projet, pour d'autres raisons. En octobre 2014, avant même la Déclaration d'utilité publique, ses membres avaient jugé ce nouveau réseau français à grande vitesse «peu cohérent» et trop coûteux par rapport aux ressources disponibles. Ils doutaient, notamment, de la possibilité «d'assurer une rentabilité socio-économique, même minimale, à la LGV Poitiers-Limoges».
«Cette décision a été prise irrégulièrement»
Le Conseil d'Etat a entendu ces arguments. La mise en œuvre du projet «aurait pour effet un report massif de voyageurs de la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse vers la ligne à grande vitesse», reconnaît la juridiction, ce qui aurait eu pour effet «une diminution du trafic sur cette ligne et donc une dégradation de la desserte des territoires situés entre Orléans et Limoges». Elle affirme aussi que, au vu du coût des travaux estimés à 1,6 milliard d'euros, l'évaluation «économique et sociale» a été insuffisante. La décision de déclarer le projet d'utilité publique a donc été biaisée par un dossier incomplet. «Cette décision a été prise irrégulièrement», écrit le Conseil d'Etat, qui dénonce aussi le flou sur les gains de parcours, une évaluation de la rentabilité trop superficielle, sans parler du risque de spoliation des propriétaires expropriés, en raison du grand écart entre les expropriations susceptibles de débuter dès maintenant et le début des travaux «envisagé à un horizon lointain, entre 2030 et 2050».
Et maintenant ? Les expropriations sont impossibles et le projet est bloqué. «Le gouvernement prend acte de la décision du Conseil d'Etat», a déclaré le secrétaire d'Etat aux Transports, à la Mer et à la Pêche, Alain Vidalies. Il réunira le 3 mai «les élus concernés» – opposants et partisans de la LGV –, «et prendra alors une décision sur l'avenir du projet».