La bienveillance, c'est bien. L'engagement, c'est mieux. Voilà le message des initiateurs de «Notre primaire», dont l'appel pour un candidat unique de la gauche en 2017 a été lancé mi-janvier. Lors d'une conférence de presse, vendredi à Paris, et à la veille d'un Forum organisé par Libération, ils ont mis en garde «la duplicité des organisations politiques» engagées dans l'opération. Pour la faire courte : sur le principe, PS, EE-LV et PCF sont d'accord pour participer à cette primaire. Mais à leurs propres conditions. Du coup, on se regarde en chiens de faïence. Et cela peut durer, durer, durer…
Alors ils enclenchent la troisième, histoire de mettre la pression sur les politiques : «On met les points sur les "i"», lance Julia Cagé, économiste. Le groupe a écrit un texte en trois points intitulé «Fini de tergiverser», que les partis sont priés de signer. Ce sont leurs conditions à eux, leurs règles du jeu : d'abord, «aucun parti ne pourra empêcher la participation de plusieurs candidats ayant obtenu suffisamment de soutiens» (comprendre : toute l'aile gauche du PS est la bienvenue alors que le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, ne veut qu'un seul socialiste) ; deuxièmement, le calendrier doit être adopté en juin avec clôture du dépôt des candidatures fin octobre et élection en décembre (comme un clin d'œil à François Hollande…) ; troisièmement, le gagnant devra porter les idées des perdants qui, en échange, devront le soutenir à la présidentielle.
«Si le PS ne présente qu’un seul candidat, pour nous, c’est un no-go»
Jeudi soir, sur France 2, le chef de l'Etat a ainsi annoncé qu'il ferait connaître sa décision de se représenter «à la fin de l'année». Si les autres socialistes suspendent sagement leur décision à celle du chef, la primaire devra attendre ou se faire sans eux… Deux scénarios qui sont exclus par les organisateurs. Un peu plus tôt, c'est Cambadélis qui expliquait combien cette primaire pouvait constituer une occasion «formidable» d'avoir «un débat sur le bilan» de François Hollande, qu'il imagine forcément sortir gagnant de l'exercice. Et dans l'esprit du patron du PS, une fois cette formalité évacuée, «on pourrait se consacrer à la droite».
Alors l'eurodéputé écologiste Yannick Jadot, une des chevilles ouvrières de «Notre primaire», ne l'a pas loupé ce vendredi devant la presse : «Cambadélis veut de la primaire seulement si c'est un scrutin à un tour, et si Hollande gagne. Il n'y a rien de plus antidémocratique. Et si le PS ne présente qu'un seul candidat, pour nous, c'est un no-go». L'économiste Thomas Piketty est plus nuancé : «Le périmètre doit être supérieur ou égal à 2011». En clair, sans les socialistes, l'initiative capote. Car, explique Daniel Cohn-Bendit, «ce serait absurde, dans cette hypothèse, le candidat issu de la primaire ne serait qu'un candidat de plus, et il y a déjà Mélenchon, Poutou, Arthaud… L'idée, c'est l'union».
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«On ne peut pas garantir un gagnant !»
Cohn-Bendit, c'est le «canal pessimiste» de cette primaire, critiqué par ses propres camarades d'appel pour avoir dit, dans une interview au Monde il y a dix jours, que «la primaire à gauche n'est plus possible». «Je ne vois pas comment on peut y arriver», soupire-t-il. Après avoir profité de la tribune pour allumer les écologistes d'EE-LV : «Dans leur résolution [adoptée la semaine dernière en conseil fédéral, ndlr], ils disent considérer l'initiative avec intérêt… mais pour qui se prennent-ils ?» Il a aussi son mot pour les communistes : «Eux ne veulent ni de Hollande, Valls ou Macron. Mais ce n'est pas possible comme garantie ! On ne peut pas garantir un gagnant !» L'ex-figure du Parlement européen fait tout de même son mea culpa sur le cas Nicolas Hulot. Ses amis ont assez peu apprécié qu'il pousse l'ex-animateur à se lancer dans la présidentielle, sans passer par la case primaire. «Ne pas l'inviter, c'était comme reconnaître [que la primaire] est morte. C'était mal dit, je n'ai pas été cohérent», s'excuse-t-il. Jadot s'illumine : «Je suis convaincu que si Hulot vient, il gagne.» «S'il participait, cela me rendrait optimiste», soupire Piketty. Lui, c'est le canal «pessimiste selon les jours», reprend Cohn-Bendit.
Quant à Guillaume Duval, rédacteur en chef d'Alternatives économiques, il conteste d'avoir été «rangé dans la catégorie des optimistes alors que pas du tout». L'écrivaine Marie Desplechin, elle, représente la tendance «taper du poing sur la table» : «Il ne faut pas laisser les partis faire du business as usual, les petits calculs. On ne va pas leur laisser le privilège de la montre, on reprend le calendrier en main, on les pousse à s'engager.» Les initiateurs de la primaire doivent se plier à un numéro d'équilibriste que Yannick Jadot résume ainsi : «Il nous faut à la fois aspirer les partis et les bousculer.» Dur combat.
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