Sous la tente de fortune, des brocolis un peu fatigués attendent patiemment qu'on les traite, comme les pains mollement étendus sur les tréteaux. Il pleut à verse sur la place de la République. La «cantine prix libre» n'est pas encore ouverte, il n'y a personne à la commission restauration, et tout le monde se renvoie le journaliste comme une patate chaude : «Ah non, moi je fais juste les pancartes, allez voir là-bas !» Sur le présentoir : sandwiches, soupes à base de récup de Rungis ou d'achats faits grâce à des dons, préparés par des bénévoles, à côté des stands de merguez et de kebabs, payants, eux.
Heureusement, le dialogue a pu se faire par voie de mails avec un porte-parole du mouvement, expliquant que «la cantine à prix libre s'est imposée dès le départ pour nourrir les participants. Sans énergie, on ne peut pas réfléchir ni se battre». C'est certain. «Le mouvement n'a pas pour but de faire de l'argent, donc aucun prix n'est fixé et chacun donne ce qu'il peut en fonction de ses moyens et de la valeur qu'il donne à la nourriture qui lui est proposée.» Avec les revenus des ventes, la commission cantine «dégage ensuite des bénéfices qui permettent d'acheter de la nourriture et des boissons, mais aussi de s'équiper en bâches ou en matériel électronique.» A défaut d'explication à Répu sur la notion de prix libre, en cette heure de rush aux fourneaux, détour par ceux qui ont déjà expérimenté la chose.
Comme Aladdin, créateur, il y a cinq mois, du Freegan Pony, restau squatteur et antigaspillage alimentaire, à 80 couverts par soir. Si le concept conduit à donner ce que l'on veut, cela ne signifie pas que c'est gratuit : «Le prix libre, ça veut dire la mixité sociale, explique le trentenaire. Contrairement au prix fixe, avec lequel vous avez toute une partie de la population qui ne vient pas, ça permet de réunir ceux qui ont les moyens, et ceux pour qui cinq euros, ça veut dire trois paquets de pâtes pour finir le mois, pas un repas.» Le prix libre, détaille Aladdin, c'est «le prix qu'on estime juste en fonction de ses moyens du moment». Lui ne parle plus de riches ou de pauvres, mais d'une précarité installée, «qui fait qu'un mois j'ai un peu d'argent, le mois suivant que dalle».
Une idée solidement validée par Nuit debout : «C'est également une façon d'instaurer la confiance et de faire appel aux consciences. Finalement, ce prix libre est une belle façon de résumer l'esprit du mouvement.»