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Libération
Edito

Finkielkraut expulsé, malaise à Nuit debout

Nuit deboutdossier
La droite et l'extrême droite se servent de cet épisode pour condamner Nuit debout. (Capture d'écran Youtube.)
publié le 17 avril 2016 à 17h45

Les quelques dizaines de béotiens excités qui ont insulté Alain Finkielkraut samedi soir sur la place de la République, ou qui lui ont craché dessus, n'imaginent pas le service qu'ils ont rendu aux adversaires de Nuit debout. Représentent-ils le mouvement, comme le clame une bonne partie de la droite ? Sans doute non. Le philosophe, pendant ce court mais symbolique incident, a été accompagné et protégé par un service d'ordre improvisé. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de partisans du mouvement ont condamné l'expulsion honteuse de samedi. Tout partisan sensé de cette expérience nouvelle doit dire : «Je me désolidarise sans nuances de ce comportement.» C'est un fait que les idées constamment défendues dans ses livres et dans tous les studios par Alain Finkielkraut choquent une partie de l'opinion et, a fortiori, les militants de Nuit debout. Rien d'étonnant, au fond, comme l'a indiqué notre journaliste ­Jonathan Bouchet-Petersen sur notre site.

Mais justement. Qu'est ce que la démocratie – que les militants de Nuit debout veulent rénover et porter plus loin – sinon la capacité à accepter le dissensus, à protéger l'expression des idées différentes, à tolérer, dès lors qu'on reste dans le cadre des lois, les opinions adverses, seraient-elles provocantes ou bien outrageantes ? C'est précisément quand on est furieux de l'opinion adverse qu'on doit s'assurer qu'elle pourra s'exprimer, de manière à pouvoir la réfuter. Quand on passe aux insultes, aux crachats, c'est qu'on est à court d'arguments. Ou bien c'est qu'on s'en remet aux rapports de force plus qu'à la force de l'intelligence. Aveu de faiblesse intel­lectuelle. Nous sommes d'autant plus à l'aise pour rappeler ces principes élémentaires que nous n'avons pas ménagé Alain Finkielkraut dans Libération

Du coup, on entend d’ici le réquisitoire des anti-Nuit debout, servi sur un plateau par sa frange irresponsable. Ainsi, sur la place de la République – la place des citoyens –, certains sont indésirables parce qu’ils pensent mal. Ainsi, alors que les sectaires de tout poil s’efforcent en général d’édicter une interdiction de parole contre leurs adversaires, on vient d’inventer une prohibition supplémentaire : l’interdiction d’écouter. Ainsi, sous la devise «liberté-égalité-fraternité», on vient de restreindre la liberté, de proclamer que certains, pour cause de déviance, sont moins égaux que d’autres, et de remplacer la fraternité par un crachat.

Certains disent ou diront que le philosophe a tout loisir de disserter dans les médias et qu'il exerce de fait un magistère télévisuel qui devrait lui suffire. Mais, outre qu'il n'a pas demandé à parler ce soir-là, le mouvement Nuit debout n'a-t-il pas bénéficié d'une bienveillance médiatique qui va bien au-delà de son importance numérique ? Dans une majorité de médias – à commencer par Libération qui s'est efforcé encore ce week-end de rendre compte au long des débats tenus dans ces assemblées –, le mouvement a été présenté, à juste titre, comme un signe positif de repolitisation civique. S'il s'agit à l'inverse d'une repolitisation sectaire, elle ne fera pas long feu et s'effilochera, comme souvent, dans les invectives et la confusion. On aurait voulu discréditer un mouvement positif mais fragile qu'on ne s'y serait pas pris autrement.