La scène tourne en boucle depuis samedi soir. Une dizaine de personnes présentes à Nuit Debout crient à Alain Finkielkraut de quitter la place en le qualifiant de «facho». La tension monte, le philosophe se retourne et lance «fascistes» à la petite bande. Puis un «gnagnagnagna, pauvre conne» adressée à une autre participante. Pendant ce temps, l'académicien est accompagné de l'autre côté de la place par quelques membres du service d'ordre du mouvement, brassard blanc au bras.
L'événement s'est déroulé vers 21 heures, samedi, au centre de la place. Loïc, de la commission «sérénité» était présent. Il revient, lundi, sur cet épisode : «Finkielkraut a écouté les débats de l'assemblée générale pendant environ trente minutes. Puis, peu à peu, des gens ont commencé à l'interpeller sur sa présence. Au bout d'un moment, il a décidé de s'éloigner et c'est là qu'il a été suivi par une dizaine de personnes, qui insistaient pour qu'il quitte la place. Par précaution, on l'a accompagné pour que ça se passe dans le calme.» Dans la foulée, les Jeunes communistes ont revendiqué l'action sur Twitter : «On l'a tej [jeté, ndlr]». Contactée par Libération, l'organisation explique qu'elle ne souhaite pas s'exprimer aujourd'hui mais qu'un communiqué sera envoyé mardi pour faire le point sur leur rôle dans l'éviction du philosophe.
Ce lundi en début d'après-midi, suite à une proposition faite la veille par une personne de l'assemblée générale, une cinquantaine de personnes ont décidé de se réunir place de la République pour revenir sur cet «emballement médiatique». Les participants décident de se saisir de cette situation «anecdotique» pour aborder, pêle-mêle, la question démocratique, le cadre d'expression dans le mouvement et la relation aux médias. Mais «sans se focaliser sur Finkielkraut», souhaite Leïla, qui modère la discussion.
«Pari de l’intelligence et de l’émancipation»
«Il faut qu'on reste ouvert à tous. Une majorité de gens ici ne sont pas d'accord avec les positions de Finkielkraut, il faut faire confiance à l'intelligence de chacun, déclare Hugo. Si on commence à faire des listes de personnes qui ne peuvent pas venir, où est-ce que cela s'arrête ?» Une autre personne prend la parole : «Moi, j'étais contente qu'on lui demande de partir, il n'a pas besoin de venir ici, il parle tout le temps à la télévision.» La discussion est agitée. A plusieurs reprises, Leïla tente de recadrer les débats, pour éviter une focalisation sur l'académicien.
«Le mouvement s'est donné des règles, chacun a deux minutes pour parler et d'autres peuvent répondre. Ça ne m'aurait pas gênée qu'il prenne la parole, à partir du moment qu'il respecte notre cadre d'expression», estime Sylvie. Nicolas va dans le même sens : «Notre pari est celui de l'intelligence et de l'émancipation, quelqu'un qui respecte les règles fixées et vient débattre doit pouvoir le faire.»
Est finalement posée l'opportunité de la rédaction d'un communiqué ou de la prise d'une position officielle de Nuit debout. «Le fait que le mouvement ne revendique pas cet événement suffit à s'en dissocier, pas besoin de se prononcer officiellement et de faire le jeu des médias», estime quelqu'un. Vers 17 heures, ils sont près de 80 à participer à la discussion. D'autres personnes arrivent et demandent le thème en débat. Simon prend une feuille et interroge : «On écrit quoi comme thème dessus ?» «Liberté d'expression», tranche Leïla.