Ce mardi, c'était «Hijab Day» à Sciences-Po Paris, à l'initiative de quelques étudiants. Le principe : proposer à leurs camarades de se couvrir les cheveux d'un foulard le temps d'une journée afin de «démystifier le tissu», de montrer qu'il existe autant de personnalités que de femmes voilées, et de proposer aux néophytes de s'essayer, même brièvement, au quotidien d'une femme dont le vêtement peut être source de discriminations.
«On veut apporter une idée de liberté et de tolérance. Sortir du débat politique sur le danger potentiel du voile, revendique Oumou, coorganisatrice de l'événement. On veut dire "arrêtez d'interpréter et demandez-leur".» Son amie Imen et elles sont musulmanes, mais ont habituellement les cheveux au vent. «On a décidé de ne pas se voiler, c'est notre liberté. Mais on ne considère pas que celle qui est voilée est moins libre», poursuit Oumou, son foulard gris ne couvrant que la moitié de son crâne. Sonia, elle, porte le voile tous les jours. «Je ne suis pas comparable à "un Nègre qui était pour l'esclavage", lâche-t-elle au sujet des propos de la ministre de la Famille, Laurence Rossignol. Je ne me sens pas enfermée.»
«Elite». Des foulards sont disposés sur une table dans le hall de Sciences-Po. Celles et ceux qui le souhaitent peuvent se servir. Les journalistes, venus en nombre, n'ont pas le droit de pénétrer dans l'établissement, mais à la pause de midi, peu sont les étudiant(e)s à sortir couverts. Chialun, étudiante taïwanaise en France depuis l'été dernier, a décidé de jouer le jeu. «Je vais essayer de le porter toute la journée, dit cette bouddhiste de 34 ans. C'est un moyen d'avoir une expérience personnelle sur la façon dont ça se passe. C'est important de le faire à Sciences-Po parce que c'est un établissement d'élite.» Sur le trottoir d'en face, Chloé et Gabriella ont tout l'air d'expérimenter le voile pour la première fois. Ce sont des étudiantes musulmanes qui les ont aidées à le mettre. Leur préoccupation principale était d'en connaître la signification. «On m'a dit que c'était juste pour montrer son lien avec Dieu», explique Chloé. «La laïcité ne consiste pas à cacher les différences religieuses pour pouvoir vivre ensemble, revendique Gabriella. On ne valorise en aucun cas le port du voile. La question, c'est l'acceptation. On a bien vu, dans la rue et au café, les regards. Je ne sais pas si je pourrais vivre ça au quotidien. Quand je n'ai pas le voile, on ne se retourne pas comme ça sur moi.»
Bien sûr, l'événement divise. «Je trouve ça ridicule et scandaleux. Il y a une volonté de faire le buzz sur un sujet sensible et problématique, tacle Simon, en dernière année. A part les extrémistes, personne ne veut empêcher les femmes de se voiler.» Pour lui, le «Hijab Day» est «une provocation, de la même manière que les apéros saucisson-pinard». Ils sont nombreux à dénoncer le «prosélytisme» de cette action, dont se défendent les organisatrices. «Je suis choquée que ça ait été organisé, le religieux doit rester dans la sphère privée», déplore Héléna, en dernière année.
Naïveté. Est-ce du prosélytisme de proposer de se mettre dans la peau d'une autre pour une journée ? «Ils distribuent un voile à l'entrée : c'est du prosélytisme», balaie-t-elle. Comme beaucoup, elle estime qu'une conférence ou un débat aurait été plus judicieux. «En Iran, en Syrie, des femmes se battent pour se libérer. Là, ce sont des filles des beaux quartiers qui se mettent dans la peau d'une femme voilée une journée et rester dans Sciences-Po. Ça n'aide pas à comprendre les discriminations», juge Thomas, en quatrième année. La naïveté du discours des organisatrices énerve passablement Zoé (1) : «Elles "dé-religieux-isent" le voile, du coup elles le politisent. Elles croient qu'on peut penser les symboles en dehors de leur histoire et de leur signification. C'est comme si je mettais une kippa pour me protéger du soleil !»
(1) Le prénom a été modifié.