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Nuit debout : à la Bourse du travail, l'étape d'après reste en suspens

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Réunis mercredi soir dans le Xe arrondissement de Paris, les initiateurs de la contestation populaire ne sont pas parvenus à donner une perspective au mouvement.
Lors de la soirée organisée à l'initiative de François Ruffin et de l'équipe de Fakir, mercredi, à la Bourse du travail. (Photo Martin Colombet. Hans Lucas pour Libération)
publié le 21 avril 2016 à 14h00

La soirée avait pourtant bien commencé. Réunis dans la salle principale de la Bourse du travail, collée à la place de la République, plus de 350 personnes ont répondu présents, mercredi soir, au débat «Nuit Debout : l'étape d'après ?», organisé par François Ruffin et son équipe du journal Fakir. L'affluence est telle que de nombreuses personnes ne peuvent pénétrer dans le bâtiment. L'accès se fait par une petite pièce où l'on peut acheter un sandwich, un verre de punch ou le dernier exemplaire du journal alternatif. La petite troupe porte le tee-shirt du documentaire Merci Patron ! L'ambiance est conviviale.

C'est dans cet endroit que la même équipe avait organisé la soirée du 31 mars, date de la première occupation de la place de la République. Mercredi soir, c'est François Ruffin qui ouvre les débats: «On a été surpris par le succès de Nuit debout et on n'avait pas pensé l'étape d'après. Mais je crois qu'il faut toujours des plans de bataille.» Le réalisateur suggère alors une idée à l'assemblée : «J'ai un coup à proposer. Je souhaite qu'on fasse un très gros 1er mai, que la manifestation se termine à République et qu'on fasse un meeting avec les syndicats qui sont opposés à la loi travail.» Plusieurs représentants syndicaux sont ensuite invités à s'exprimer, et reprennent l'idée d'un nécessaire rapprochement entre le mouvement de la place République et les syndicats. Deux membres de la commission «Grève générale» de Nuit Debout prennent également la parole : «On fera tout ce qu'il faut pour la convergence des luttes, mais il faut déjà qu'on communique. On invite les syndicats à venir nous voir.»

Arrive le tour de Frédéric Lordon. «Il a besoin d'une chaise», annonce la modératrice. «C'est Nuit debout, pas assis», crie quelqu'un. Installé derrière un petit bureau, l'économiste égrène une liste de questions : «Où allons-nous ? Que voulons-nous ? Que pouvons-nous ?» Comme le journaliste Serge Halimi avant lui, Lordon pointe le risque d'un mouvement centré sur lui-même, oubliant le «politique» pour se contenter de «l'animation citoyenne» «Je voudrais dire à ceux qui peuvent être fascinés par le mirage de l'unanimité démocratique que refaire le monde c'est prendre le risque de déplaire à ceux qui ne veulent pas du tout que le monde soit refait.»

«J’ai entendu beaucoup de mépris ce soir»

A l'issue de ces interventions programmées, des prises de parole «d'une minute par personne» sont proposées à la salle. Et c'est là que les choses se compliquent. Malgré un large soutien du public à la proposition François Ruffin, plusieurs participants de Nuit debout n'apprécient pas l'image d'une avant-garde éclairée se réunissant à l'écart de la place. «On n'a pas attendu les intellectuels pour avoir l'idée de se mobiliser massivement pour le 1er mai», lance quelqu'un. L'intervenante suivante va dans le même sens : «Il faut qu'on arrête de se diviser et surtout de se mépriser, j'ai entendu beaucoup de mépris ce soir.» En marge des débats, un proche des organisateurs décrypte le point de tension : «L'équipe de Fakir et quelques autres personnes ont lancé Nuit debout, mais le mouvement leur a échappé, ils pensent désormais que les AG interminables et la multiplication des commissions thématiques, c'est de la perte de temps.»

Dans le brouhaha général, la modératrice tente de recadrer la soirée : «Ce qu'on propose maintenant, ce n'est pas une prise de parole libre, mais de prendre position sur la proposition d'une convergence avec les syndicats le 1er mai». Rien n'y fait. A plusieurs reprises, François Ruffin reprend le micro, se désole de la tournure prise par les débats. Peu à peu, les gens quittent la salle, d'autres font la queue dans la fosse pour tenter de prendre la parole, avant qu'une fanfare ne vienne finalement clore la soirée en musique. A quelques dizaines de mètres de la Bourse du travail, sur la place de la République, ils sont encore plus d'un millier à débattre et à festoyer. Victime de son succès, le mouvement Nuit debout n'a pas réussi, ce soir-là, à trancher sur son avenir.