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COP 21

Ecologie : la France brillante à l’oral, mauvaise à l’écrit

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Malgré les envolées lyriques de François Hollande lors de l’accord de Paris, la politique écologique du gouvernement accumule les reniements. La preuve par trois.
La promesse du candidat Hollande de ramener à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité d’ici à 2025 semble irréalisable. (Photo Vincent Nguyen. Riva Press)
publié le 22 avril 2016 à 19h01

Esprit de la COP 21, es-tu là ? Le 12 décembre, une poignée de minutes après l'adoption de l'accord de Paris sur le climat, François Hollande enchaînait les envolées lyriques. Il déclarait notamment ceci : «La France mettra tout en œuvre non seulement pour appliquer l'accord, nous en avons la responsabilité, mais pour accélérer le mouvement.» Las, depuis, son gouvernement s'est surpassé pour agir pile dans le sens opposé, multipliant renoncements et contradictions en matière d'écologie et de climat.

Un vrai festival. Prolongation de l’autorisation du rejet dans la Méditerranée des boues rouges toxiques de l’usine Alteo de Gardanne (Bouches-du-Rhône). Menaces sur les trains Intercités et fermeture annoncée de lignes de trains de nuit, pour favoriser les «cars Macron» et le tout-routier. Parmi d’innombrables gages accordés à l’agrobusiness, il y a aussi la lettre envoyée aux députés par le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, pour leur demander, avant son adoption à l’Assemblée nationale, de ne surtout pas voter l’interdiction des néonicotinoïdes, ces pesticides «tueurs d’abeilles» et d’autres animaux.

La liste des incohérences est longue. Détail de trois cas, parmi les plus importants et symboliques de la schizophrénie et de l’absence de courage politique de l’exécutif.

Une transition énergétique théorique

Le gouvernement vante sans cesse sa loi «relative à la transition énergétique pour la croissance verte», qualifiée par François Hollande d'«un des textes les plus importants du quinquennat». Promulguée le 17 août au terme de trois difficiles années de gestation, elle fixe d'ambitieux objectifs : consommation d'énergie divisée par deux en 2050, baisse de 40 % des gaz à effet de serre et de 30 % des énergies fossiles d'ici à 2030, 32 % d'énergies renouvelables en 2030… Sans oublier la diminution de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % d'ici à 2025 (contre plus de 75 % aujourd'hui), une des promesses phares du candidat Hollande.

Magnifique sur le papier. Sauf que pour l'appliquer, il manque toujours un texte majeur : la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Sans cette feuille de route de la politique énergétique du pays jusqu'en 2023, les beaux objectifs inscrits dans la loi resteraient lettre morte. Celle-ci verra-t-elle le jour ? A voir. Après avoir procrastiné des mois, repoussant sans cesse la présentation de la PPE - prévue à l'origine avant fin 2015 -, le gouvernement a tenté de l'enterrer discrètement. Le 6 avril, pensant calmer la société civile, il s'est contenté de fixer des objectifs pour les énergies renouvelables uniquement, dans un projet d'arrêté équivalant en fait à un «retour vers le futur» du Grenelle de Nicolas Sarkozy, bien moins ambitieux que la PPE (lire Libération du 8 avril).

Pourquoi ? Sans doute le gouvernement se sent-il coincé par le tabou de la baisse du nucléaire et la mainmise d’EDF sur la politique énergétique, le tout exacerbé par le marasme économique dans lequel s’enfonce la filière de l’atome. Publier une vraie PPE, c’est détailler comment l’Etat espère atteindre l’objectif de 50 % de nucléaire dans le mix électrique. Or, la Cour des comptes elle-même l’a dit : cela impliquerait pour EDF de fermer 17 à 20 des 58 réacteurs français, dans l’hypothèse d’une consommation de courant constante. Ce dont le PDG d’EDF ne veut pas entendre parler. L’exécutif restera-t-il décidé à ne surtout rien décider et à refiler la patate chaude à la prochaine majorité, après les élections de 2017 ? Ou saura-t-il reprendre la main et jouer son rôle d’Etat stratège ?

L'heure de vérité approcherait enfin, si l'on en croit Ségolène Royal. Promis, juré, craché, a assuré le 14 avril la ministre de l'Environnement et de l'Energie, le gouvernement publiera «au plus tard le 1er juillet» une PPE complète, avec un volet nucléaire qui donnerait «une fourchette du nombre de réacteurs à fermer en fonction de deux scénarios sur l'évolution de la consommation électrique». Ô hasard, cette promesse est survenue pile le jour où plus de 200 organisations - entreprises, ONG, syndicats, collectivités -, pas dupes du projet d'arrêté du 6 avril, appelaient l'exécutif à enfin appliquer sa loi et ne pas tenter de la débrancher en douce, «alors que des centaines de milliers d'emplois peuvent être créés dans des filières d'avenir comme les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique».

Pendant que le gouvernement tergiverse et joue la montre, les énergies renouvelables décollent partout dans le monde, et la France reste à la traîne. Mettant aussi à mal, au passage, sa prétendue exemplarité. «Signer l'accord de Paris le 22 avril sans avoir publié une PPE mettant en œuvre les objectifs de la loi de transition énergétique, c'est comme faire un chèque en bois…» résume Anne Bringault, chargée du dossier «transition énergétique» pour plusieurs ONG et associations.

Une tentative de cadeau aux industriels pollueurs

Le gouvernement a essayé, en toute discrétion, d'exonérer les industriels en cas de pollution. En janvier, les sénateurs, à l'initiative de leur collègue Bruno Retailleau (Les Républicains, Vendée), avaient introduit dans le projet de loi «biodiversité» un article 2 bis selon lequel «toute personne qui cause un dommage grave et durable à l'environnement est tenue de le réparer». Façon d'inscrire dans la loi la notion de préjudice écologique, validée en 2012 par une jurisprudence de la Cour de cassation dans le cadre du procès de l'Erika, le pétrolier affrété par Total à l'origine d'une marée noire en Bretagne en 1999.

Mais le 1er mars, le gouvernement a déposé une autre version de cet article qui changeait tout, à peine une poignée d'heures avant l'examen du projet de loi en deuxième lecture à l'Assemblée nationale. Remettant de facto en cause le principe pollueur-payeur, l'amendement du gouvernement était un vrai cadeau aux industriels, car il leur aurait donné un «permis de polluer»… aux frais du contribuable. Il spécifiait que «le préjudice résultant d'une atteinte autorisée par les lois, règlements et engagements internationaux de la France ou par un titre délivré pour leur application» n'était «pas réparable». Traduction : il suffirait qu'une pollution (causée par une marée noire, des boues rouges, des nitrates…) résulte d'une activité ayant bénéficié d'une autorisation administrative (permis de construire, d'exploiter ou de forer…) pour que l'auteur de cette pollution soit exonéré de toute responsabilité pour la réparation du préjudice écologique. L'information, révélée par Libération, a suscité un tollé sur les réseaux sociaux et un branle-bas de combat parmi certains députés et ministres, contraignant le gouvernement à retirer son amendement le soir même.

Quinze jours plus tard et seize ans après la catastrophe de l'Erika, l'inscription du préjudice écologique dans le code civil a finalement été votée à l'Assemblée nationale.

Reste que l'intention de départ laisse pantois. Barbara Pompili, ex-membre Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) entrée au gouvernement le 11 février en tant que secrétaire d'Etat à la Biodiversité sous la tutelle de Ségolène Royal, assure avoir été prise de court le 1er mars en découvrant au dernier moment la teneur de l'amendement.

Pourtant, a indiqué à Libération une source bien informée, celui-ci aurait été rédigé à la direction des affaires juridiques du ministère de l'Environnement, avant d'être validé par les ministères de l'Economie et de l'Industrie et celui de la Justice. Ce qu'avait semblé confirmer Ségolène Royal en indiquant, sans citer cette direction, que le texte a été «déposé un peu trop précipitamment par les services qui ont cru bien faire», précisant qu'il ne s'agissait pas de ceux de Barbara Pompili. Quoi qu'il en soit, pour parvenir à cet amendement penchant beaucoup du côté des industriels, Bercy aurait relayé les inquiétudes du Medef et de l'Afep, la très puissante Association française des entreprises privées, selon lesquels graver dans la loi la jurisprudence sur le préjudice écologique contraindrait trop l'activité économique.

La cacophonie Notre-Dame-des-Landes

Depuis plusieurs mois, Manuel Valls ne manque pas une occasion de clamer son amour pour le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, de promettre le démarrage des travaux pour l'automne et de cautionner l'évacuation des opposants par les forces de l'ordre. A la joie du groupe Vinci. Peu importe si beaucoup, dont Nicolas Hulot, réclament l'abandon du projet, tout sauf «COP 21-compatible», voire purement et simplement «écocide». Mais l'affaire, pour l'exécutif, n'est pas si simple que cela. Car voilà que se retrouvent dans le même gouvernement Jean-Marc Ayrault, le père du projet, et Emmanuelle Cosse, l'ex-patronne d'EE-LV, le parti qui est le plus opposé à l'aéroport. Explosif.

Pour permettre aux nouveaux ministres écologistes de justifier leur retour aux affaires, François Hollande a repris l'idée d'organiser un référendum local sur le sort de l'aéroport, limité aux seuls électeurs de Loire-Atlantique. Sauf que les principes et modalités de cette consultation ont été contestés à l'unanimité par le Conseil national de la transition écologique (CNTE) qui réunit, entre autres, syndicats, employeurs, collectivités et organisations environnementales. Avis que le gouvernement a choisi d'ignorer royalement. En particulier Manuel Valls, qui a aussi réécrit les conclusions d'un rapport d'experts commandé par Ségolène Royal sur le projet controversé, remis le 5 avril à la ministre. «Force est de constater que le projet, fruit d'une conception ancienne, est surdimensionné», soulignent les experts.

S'ils ne disent pas que Notre-Dame-des-Landes est inutile, ils suggèrent à l'Etat de choisir entre deux options : le revoir à la baisse («redimensionné à une seule piste, au lieu des deux prévues») ou moderniser l'aéroport existant. Mais Valls, ignorant ce nouveau désaveu, a illico estimé que le rapport «valide la pertinence du transfert» de l'aéroport actuel de Nantes-Atlantique vers le site de Notre-Dame-des-Landes, ne mentionnant même pas le mot «surdimensionné» dans son communiqué et refusant de se prononcer sur d'éventuelles modifications du projet.

Ségolène Royal, elle, n'abandonne pas l'idée d'un référendum, prévu pour le 26 juin. Misant probablement sur un vote défavorable au transfert de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ce qui lui permettrait de sortir par le haut du bourbier sans rien décider, elle a assuré qu'en cas de vote favorable, «le rapport s'appliquera. Ça sera une seule piste. Ce n'est pas la peine de faire croire aux gens que ce sera autrement, 200 hectares seront rendus aux agriculteurs». Or qui dit nouveau projet dit nouvelle enquête d'utilité publique. Laquelle prendra «une bonne année», selon l'un des rédacteurs du rapport sur Notre-Dame-des-Landes, Nicolas Forray. Une bonne année à compter du 26 juin ? Voilà l'obstacle de la présidentielle de 2017 contourné. Un sommet de non-choix, une nouvelle fois.