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Second souffle

Entre Nuit debout et la CGT, François Ruffin rêve de lien

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A l’approche des manifs du 28 avril et du 1er Mai, le réalisateur de «Merci patron !» a tenté de faire converger Nuit debout et le mouvement syndical. Mais ça coince.
François Ruffin à la Bourse du travail de Paris, mercredi. (Photo Martin Colombet. Hans Lucas pour Libération)
publié le 22 avril 2016 à 20h31

François Ruffin et sa bande en sont persuadés, Nuit debout a besoin d'un second souffle. Et le réalisateur de Merci patron ! voit les choses en grand : un meeting commun entre le mouvement de la place de la République et les syndicats à l'issue de la traditionnelle manifestation du 1er Mai. Mais ça coince, d'un côté comme de l'autre. Pourtant, le plan était presque parfait. Tout comme le calendrier. L'idée ? Faire le pont entre la place de la République et Marseille, où se déroulait cette semaine le congrès de la CGT. La stratégie ? Débarquer en plein débat cégétiste avec un mandat de Nuit debout pour faire déboucher le cortège syndical place de la République. Sauf que rien ne s'est passé comme prévu.

L'équipe du journal Fakir, dont Ruffin est le rédacteur en chef, a donc organisé mercredi, à la Bourse du travail de Paris, une soirée intitulée «L'étape d'après ?». Le but : réfléchir à l'avenir du mouvement Nuit debout pour les semaines à venir. Le lieu est symbolique. C'est dans cette même salle que, le 23 février, est sortie du chapeau l'idée de ne pas rentrer chez soi après la manifestation du 31 mars. Depuis cette date, la place de la République vit au rythme du mouvement chaque soir : des prises de parole d'environ deux minutes s'y enchaînent. Chacun vient énoncer ses galères, passer des appels à la mobilisation. A côté, les commissions thématiques et logistiques organisent la vie de la place et offrent des espaces de discussions collectives. Mais pour certains, cela manque de concret. «Les assemblées générales sont interminables et ne permettent pas de faire émerger des propositions concrètes», résume Ruffin. D'où sa démarche. Et la question qu'il pose : comment le mouvement peut-il se positionner à l'approche des deux journées d'action, le 28 avril contre la loi travail et celle du 1er Mai ?

Méthode qui fâche

Mercredi soir, dans une salle archicomble, le journaliste détaille sa stratégie: «Je souhaite qu'on fasse un très gros 1er Mai, que la manifestation se termine à République et qu'on fasse un meeting avec les syndicats qui sont opposés à la loi travail.» Pendant près de deux heures, tous les intervenants invités par Fakir vont dans le même sens : le rapprochement avec les syndicats doit être la prochaine étape du mouvement Nuit debout. Pour finir, la parole est donnée à la salle. C'est là que les choses se compliquent. Même si une grande majorité des personnes présentes est favorable à la proposition de François Ruffin, la méthode fâche ceux qui ont l'impression d'être face à une avant-garde éclairée, retranchée à l'écart de la place. D'autant qu'ils n'ont qu'une seule minute chacun pour s'exprimer. «On n'a pas attendu les intellectuels pour avoir l'idée de se mobiliser massivement pour le 1er Mai», lance quelqu'un. Lorsque la salle se vide dans le brouhaha, Ruffin se prend la tête entre les mains. La soirée a fini en queue de poisson. «Je n'ai pas réussi à obtenir un mandat de la salle pour porter cette proposition à l'assemblée générale de Nuit debout», constate-t-il, quelques jours après.

Côté CGT, l'appel de François Ruffin, était pourtant plus que bienvenu. Et pour cause : lors de leur congrès à Marseille, nombre de cégétistes l'ont répété en boucle : ils veulent que leur syndicat propose une «nouvelle impulsion» à la contestation contre la loi travail. Pour beaucoup, cette dernière doit passer par la «grève générale et reconductible», mais aussi par un rapprochement avec les mouvements citoyens. D'autant que, depuis le début de Nuit debout, ils sont plusieurs, à titre personnel, à avoir fait un tour sur la place de la République, ou dans les autres lieux de rassemblement en France. Et parfois au nom de leur syndicat, comme Karl Ghazi, de la CGT Commerce, invité à s'exprimer devant l'assemblée parisienne, le 9 avril. Ou encore des membres de la branche Information et Communication. Pour appuyer une telle «convergence», certains cégétistes, notamment du SNJ-CGT, le syndicat des journalistes, auraient d'ailleurs bien aimé voir Ruffin venir à la tribune du congrès. «La demande a été faite. Ce film est un succès, il faut s'appuyer dessus», expliquait, mercredi à Marseille, un syndicaliste. Mais la direction est restée muette. Quant à Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, il expliquait que Ruffin était «le bienvenu», mais sans lui garantir l'accès au micro. Une frilosité qui en agaçait plus d'un dans les couloirs du congrès, accusant le syndicat de se «croire un peu seul au monde».

Têtes de pont

L'idée d'un grand 1er Mai sous le signe de la convergence est-elle pour autant enterrée ? Pas si sûr. Certes, pour beaucoup, Ruffin est un peu «fatigué» et pourrait prendre de la distance. Mais, malgré tout, l'idée a commencé à prendre. Ainsi, pour le syndicat Solidaires, présent au côté de Nuit debout depuis le début, l'idée est hautement souhaitable. Eric Beynel, son porte-parole, le sait, le parcours de la manif du 1er Mai est déjà décidé, ce sera Bastille-Nation, «mais on peut le prolonger», explique-t-il. Côté CGT, la direction n'a encore rien décidé : «Pour ce qui est de se rendre sur la place, cela se discutera collectivement, si nous sommes sollicités», explique Catherine Perret, secrétaire confédérale. Et notamment avec les autres centrales et les organisations de jeunesse. «Tout peut être ouvert», assure-t-elle. Pour appuyer l'initiative, des militants évoquent aussi un «appel» qui pourrait être signé par plusieurs têtes de pont de la CGT. Une chose est sûre, les syndicats réformistes (CFDT, CGC, CFTC) ne seront pas là. Mais FO non plus. Certes, le syndicat, contrairement à son habitude, défilera bien le 1er Mai avec la CGT «parce qu'il est dans la bagarre contre le projet de loi». Mais la centrale «restera sur le terrain syndical», ajoute Michèle Biaggi, secrétaire confédérale, et n'appellera donc pas à se rendre place de la République. Quant à Ruffin, il jure, un peu las, avoir en main, un plan B «moins ambitieux».