La routine s'installerait presque à Nuit debout après vingt-trois jours d'occupation de la place de la République. Chaque soir, les différents stands sont montés, un par un, puis finalement démontés dans la nuit. Et le mouvement tient, en partie, à l'énergie d'une petite centaine de personnes investies dans les aspects matériels. «La fatigue des troupes, c'est ce qui me fait le plus peur», lâche Philippe, à la retraite. En vieux briscard des luttes sociales, il réfléchit à une solution : «Il faudrait une journée de relâche, sinon ceux qui sont les plus actifs ne pourront pas tenir. Ça permettrait de se poser, de réfléchir et d'élaborer de nouvelles choses, sans être en permanence sur la corde raide.»
Pour l'instant, il n'en est pas question. La petite camionnette de location, bien remplie, arrive sur la place vers 16 heures. C'est Simon, charpentier, la trentaine, qui la conduit depuis deux semaines : «J'ai l'impression que ça fait trois mois que je suis là. J'ai fait un break de quelques jours à la campagne pour revenir en forme.»
Lampe frontale
L'équipe de la logistique compte une quinzaine de fidèles, présents tous les jours ou presque. Pendant qu'un petit groupe s'active pour sortir le matériel, Simon continue les allers-retours vers leur lieu de stockage. Un coup pour la sono, un autre pour le matériel de cuisine, et ainsi de suite. «La première semaine, c'était bien pire, tout était dispersé dans des endroits différents, je commençais à conduire en début de journée et je terminais vers 3 heures du matin», raconte -t-il.
De son côté, Antoine, technicien dans une salle de danse, s'occupe des tentes. Les cordes, les nœuds, les bâches, bref construire des «trucs», il sait faire. Lampe frontale autour du cou, il mesure la liberté que lui offre son travail : «J'ai un emploi du temps qui me permet de m'investir dans le mouvement, je travaille tôt et je suis libre l'après-midi.»
Vers 23 heures, Mélanie frotte fort le fond d'une marmite pour tenter de nettoyer les restes d'une ratatouille. Elle aussi a un emploi, dans l'associatif : «Je ne peux pas venir tous les soirs, je passe souvent après le boulot.» Malgré la contrainte de son travail, elle s'investit depuis pratiquement le début du mouvement dans la préparation des repas. «J'essaye d'arbitrer tout de même avec d'autres activités pour ne pas m'épuiser. Et surtout de ne pas rentrer trop tard.» De son côté, Antoine pense savoir comment tenir : «Je me concentre uniquement sur la technique, j'évite tout ce qui concerne les débats et l'organisation.» Plusieurs personnes investies dans la logistique regrettent de ne pas pouvoir assister aux assemblées générales, faute de temps.
«Nœuds»
Depuis le début du mouvement, des appels sont passés presque chaque jour pour que de nouvelles forces rejoignent les postes d'organisation. Aussitôt, le besoin de relais s'est fait sentir. «Il arrive que certains viennent filer un coup de main juste pour une soirée», raconte Mélanie. «Parfois, des personnes se présentent spontanément, mais on ne sait pas toujours ce qu'on peut leur donner à faire», témoigne Simon. Pas facile de tout coordonner.
Le but de la logistique est de ne bientôt plus être indispensable. «L'idéal au bout d'un moment, c'est que chacun puisse s'organiser en autonomie, explique Antoine. Au début, on avait besoin de moi pour l'installation des tentes, maintenant beaucoup savent faire les nœuds.» Il aimerait que Nuit debout puisse continuer sans les personnes en charge de la logistique. Mais pas question d'arrêter pour l'instant : «Notre travail ici, c'est notre façon de combattre», souligne Simon. Une lutte faite de bouts de ficelle.