C'est «Sam Suffit» en version promoteur. Chaque fois qu'un constructeur lance un immeuble d'appartements, il lui donne un petit nom. De préférence aussi évocateur que l'image en couleur de la publicité et d'ailleurs destiné à pousser la vente. On suppose l'acquéreur peut-être plus motivé par la perspective d'habiter Vill'Harmonia (Bouygues Immobilier) que 4, rue des Morteaux à Antony.
La conjoncture du bâtiment étant à la reprise et les programmes de logements neufs se multipliant, on dispose maintenant d’un échantillon suffisamment conséquent de cette sémantique immobilière pour pouvoir passer une distrayante demi-heure à en dresser une classification.
Catégorie numéro 1 : les noms prétentieux…
… et de préférence dans des communes qui elles, ne le sont pas forcément. Champion incontestable : Villa Elégance au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), improbable collage de colonnettes grand siècle, de fronton à l’antique et de toitures Mansart (Bouygues). Du même promoteur : Apogée, Inspiration, l’Exclusif, l’Ecrin…
Bien aussi, chez Nexity, la Villa des peintres (Val d'Oise) ou Art de ville (à Evry, Essonne. Il fallait oser). Très en forme, la team du promoteur BDP-Marignan s'est lâchée avec Renaissance (La Garenne-Colombes), Parure (Nanterre), Audace (Asnières), Impulsion (Colombes) ou Signature (Thiais), sachant que physiquement, pas un seul de ces immeubles n'évoque la parure, l'audace ou une signature d'architecte. Mention spéciale enfin pour Pitch Promotion, qui a baptisé Esprit Sagan un édifice dans le chic Paris VIe, rareté à 16 500 euros le mètre carré. Pauvre Françoise.
Deuxième catégorie : l’évocation du passé
Là aussi, il y a du monde, et plus le programme se construit dans un milieu urbain potentiellement déprimant, plus le nom va aller chercher dans une nostalgie enchantée. C’est la Villa Joséphine de Bouygues (à Bourg-la-Reine), le Verger du Roy de Vinci (à Noisy-le-Roi), les Horizons du Roi et les Allées de la Reine de BPD-Marignan (à Saint-Cyr-l’Ecole), l’Orée des capucines de Pitch Promotion (à Poissy). Là encore, il y a un champion de la catégorie : Jadis et demain (BPD-Marignan), oxymore situé à Rueil-Malmaison.
Arrivent ensuite les catégories d’outsiders…
…Ceux qui gâchent le métier en tentant le calembour (Vues d'Issy chez Bouygues, Nouvel'R, O Centre et Origin'Air chez Nexity, Metron'Home chez Pitch Promotion), ou l'appellation moderne et bien de son temps (Prism', Intensit, Déclic chez Bouygues, Artyst chez Cogedim, Artistik chez BPD-Marignan). La modification de l'orthographe vise sans doute à renforcer la modernité. Enfin, outrageusement conceptuels, Empreinte, Symbiose (Bouygues) ou Influence (Vinci). Sachant que le comble du snobisme chez un promoteur consiste à ne surtout pas donner un nom à un immeuble.
Mais au fond, tout cela n’est pas plus menteur que ce que disent les petites annonces quand on y lit «idéal premier achat» et qu’il faut comprendre : petit, mal fichu mais pas trop cher. Tout est dans le choix des mots.