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Sapin II : une loi à muscler

Le ministre des Finances voudrait que son projet de loi pour la transparence et la lutte contre la corruption, examiné à partir du 7 juin à l’Assemblée, soit renforcé.
Myriam El Khomri, Michel Sapin et Audrey Azoulay lors des questions du gouvernement au Palais du Sénat, le 17 mars. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 24 avril 2016 à 21h01

Si François Hollande leur a adressé ses félicitations dans la foulée des révélations des Panama Papers, les lanceurs d'alerte ne sont pas, et loin s'en faut, des protégés de la République. Du moins pour l'instant. Non d'ailleurs que le législateur les ignore (lire ci-dessous). Mais l'empilement de lois actuel ne garantit nullement un droit d'alerte effectif. Face à ce peu glorieux bilan, Michel Sapin a décidé de prendre l'initiative. Pour le ministre des Finances, son projet de loi pour la transparence et la lutte contre la corruption (dit loi Sapin II), qui sera examiné le 25 mai en commission des lois et le 7 juin en séance à l'Assemblée nationale, est l'occasion rêvée de rattraper le retard de la France en la matière.

Philosophie. Début mars, le locataire de Bercy a donc reçu en tête à tête le député PS Yann Galut, auteur d'une proposition de loi «globale et ambitieuse» déposée en décembre au bureau de l'Assemblée. «Sapin m'a dit vouloir intégrer la philosophie de mon texte dans sa propre loi : l'idée est que je transforme mes propositions en amendements à sa loi Sapin II», confie Galut, qui depuis deux ans travaille sur le sujet en collaboration étroite avec les ONG, dont Transparency International, Anticor ou Sherpa. Lesquelles, avec le renfort d'autres organisations comme le CCFD-Terre solidaire, Greenpeace, Attac ou la CFDT, font d'ailleurs monter la pression sur le gouvernement, via une pétition en ligne lancée le 21 avril.

De son côté, Galut doit revoir le cabinet de Sapin début mai pour discuter des amendements recevables par le gouvernement. Mais aussi des points de blocage. Mandaté par le groupe socialiste sur les aspects dédiés aux lanceurs d'alerte du texte Sapin, le député n'ignore pas qu'entre lui et Bercy, les vues ne sont pas totalement convergentes. Ainsi de la définition du lanceur d'alerte, que Galut veut aussi large que possible. Deuxième source de polémiques : le périmètre de l'alerte. «La loi Sapin II ne prend en compte que la corruption et la fraude fiscale, regrette le parlementaire. Nous voulons élargir cette approche à l'ensemble du champ des alertes, l'alimentaire, la santé ou autres.» L'adoption le 14 avril de la directive européenne sur le secret des affaires a rendu le sujet sensible. «La loi française doit en être d'autant plus claire et précise, avertit Galut. Les lanceurs d'alerte doivent être protégés même si on leur oppose le secret des affaires.»

«Agence dédiée». Dernier point en discussion, la protection des lanceurs d'alerte. Pour Bercy, cette dernière doit être assurée par l'Agence de prévention et de détection de la corruption créée dans la loi Sapin II. Il lui reviendrait de vérifier les signalements, de garantir l'anonymat des lanceurs d'alerte. Et, en cas de représailles, de prendre en charge les frais de justice. Insuffisant pour Galut : «Nous voulons que les lanceurs d'alerte aient une agence nationale dédiée, indépendante du pouvoir politique, précise le député. A défaut, on pourrait confier cette tâche au Défenseur des droits comme le suggère le Conseil d'Etat. Néanmoins cela supposerait une révision constitutionnelle…» Pour l'heure, Michel Sapin n'a fermé aucune porte, invitant au contraire les députés à enrichir son projet de loi. Reste à savoir jusqu'à quel point.