Une exécution. Il n'y a pas d'autre mot pour décrire la mort par balles de deux hommes sur un trottoir, près d'un bâtiment scolaire au sud-est de Grenoble. Il était un peu plus de 10 heures ce lundi lorsqu'un tireur non identifié a ouvert le feu depuis une voiture, rue Teisseire, petite artère résidentielle de ce quartier populaire de 5000 habitants. Un homme est mort sur le coup, un autre est décédé quelques dizaines de minutes plus tard. Agés de 22 et 28 ans, ils étaient connus des services de police pour des faits de trafic de stupéfiants. Un troisième homme, mineur de 17 ans, a également été grièvement blessé et évacué vers le CHU de Grenoble. Le tireur, cagoulé et déterminé au point de venir achever à bout portant ses cibles, selon la version circulant parmi les habitants présents sur les lieux dans la matinée, a pris la fuite. Une voiture a été retrouvée brûlée un peu plus tard dans une commune voisine : elle pourrait être celle avec laquelle le tueur a opéré.
La fusillade a éclaté juste devant l'école élémentaire Jean-Racine, où les enfants venaient de faire leur rentrée après les vacances de printemps. Une jeune femme, sous le coup de la colère, frémit : «Et le choc pour les enfants ? Et s'il y a avait eu une balle perdue?» Les enfants ont été confinés toute la matinée dans l'établissement mais les cours devaient avoir lieu normalement dans l'après-midi.
«Des gars du quartier»
«Il y a eu une demi-douzaine de détonations, témoigne un retraité vivant à 150 mètres de là. Entre cinq et dix coups. Je me suis demandé si c'était des pétards… ou bien des coups de feu. Ça n'est pas la première fois que ça arrive ici vous savez, ça ne m'étonne pas.» De fait, la cité Teisseire toute proche, avec ses sept tours, est traditionnellement connue pour être un des hauts lieux grenoblois du trafic de cannabis. Le quartier, où 33% de la population active était au chômage en 2013, est classé en zone urbaine sensible, a fait l'objet d'un Grand contrat de ville. Elle a également été intégrée en 2013 à la zone de sécurité prioritaire (ZSP) Grenoble-Echirolles. En septembre dernier, un homme avait ici été abattu dans sa voiture, de deux balles de petit calibre, tandis qu'un tireur passager d'un scooter avait blessé un autre homme deux jours plus tard, le tout sur fond d'altercations entre bandes rivales
Au bar-tabac voisin, les jeunes sont abasourdis, effondrés. Incrédules devant une telle violence. L'un d'entre eux, se présentant comme proche de la plus âgée des victimes, se confie, à l'écart, très ému mais calme : «Ce que je ressens c'est plus que du dégoût. C'était des gars du quartier… et c'étaient des innocents. Ils n'avaient rien à voir avec les règlements de compte de l'année dernière. Le plus âgé, je le voyais souvent, il a deux enfants en bas âge, qu'il élevait bien. Alors oui il avait fait un peu de trafic – mais on l'a tous fait, qu'est-ce que vous voulez, comment faire autrement pour manger dans ce quartier…. Sauf qu'il avait tout arrêté, et même quitté le quartier pour ça ! Et l'autre, 18 ans, il n'avait même pas fini de grandir. Sa mère m'a brisé le cœur tout à l'heure. Il y a un groupe, des personnes extérieures au quartier, qui a débarqué ici pour le trafic et qui tue des innocents. Mais pourquoi ?»
A 12h30, les corps des victimes sont évacués, les policiers désertent en quelques minutes le secteur. Le trottoir a été lavé à grande eau, il ne subsiste pas une trace, pas un impact de balle visible. La ruelle a replongé instantanément dans un calme total et surréaliste…