C'est le tome II de la gronde des départements. Après la menace brandie en octobre de ne plus régler la facture du revenu de solidarité active (RSA), dont ils ont la charge, place aux propositions pour une refonte totale de la politique sociale et d'insertion. Avec une nuance toutefois : s'ils étaient plutôt unis lors de la première salve, il y a six mois, les présidents de département de gauche et ceux de droite mènent désormais la bataille chacun de leur côté.
Inspirés par le rapport du député PS Christophe Sirugue, remis au Premier ministre le 18 avril, les élus de gauche, réunis en séminaire à Nancy jusqu'à ce vendredi, plaident en grande majorité pour une fusion des dix minima sociaux existants. Soit le troisième scénario du rapport, qui consiste à créer une allocation unique composée d'un socle de 400 euros et d'un complément de 100 euros, versé selon le profil des bénéficiaires. Ce qui, de fait, va de pair avec la renationalisation du RSA. Une idée défendue par l'ensemble des présidents de département de gauche, dans une tribune publiée dans Libération (lire ci-contre), mais qui ne fait pas, pour l'heure, totalement consensus chez tous les élus, «une minorité ayant peur que cette recentralisation affaiblisse les départements», précise André Viola, président du conseil départemental de l'Aude et du groupe de gauche de l'Assemblée des départements de France (ADF).
Sommation efficace
A droite, en revanche, les représentants des départements, plus ou moins sévères sur le projet, pointent leurs désaccords avec le rapport Sirugue et traînent des pieds sur la question de la renationalisation du RSA actée par le gouvernement. Au risque de faire capoter une réforme qu'ils appelaient pourtant de leurs vœux récemment. «Il y a une disparité d'expression entre les départements qui sont financièrement noyés et veulent que l'Etat reprenne tout, ceux qui ont peur que cela sonne la fin des départements et ceux qui veulent trouver une sortie à tout cela», résume Christophe Sirugue.
De quoi enterrer le front commun de 2015, qui avait poussé les présidents de département, pris en étau entre le coût grandissant du RSA (10 milliards d'euros par an) et la baisse de la participation de l'Etat, à menacer de ne plus verser l'allocation destinée aux personnes sans aucune ressource. Soit environ 2,5 millions d'allocataires. La sommation des élus territoriaux était surtout politique. Mais elle avait vite produit des effets : trois mois plus tard, le Premier ministre ouvrait une discussion avec les départements pour aller vers «une prise en charge par l'Etat du RSA».
Une solution «responsable», selon Valls, qui à l'époque semblait faire consensus. Et pour cause, le 16 octobre, l'ADF, majoritairement de droite, s'était fendue d'une motion en faveur d'une «recentralisation du financement de l'allocation du RSA».
Politiques d’insertion
Depuis, le ton a bien changé. Le 21 avril, 34 départements de droite ont signé un appel commun pour marquer leur refus de la recentralisation et demander «la prise en charge financière, dès 2016, du surplus de reste à charge du RSA [soit le coût du RSA pour les départements, une fois encaissée la participation de l'Etat, ndlr] […], au travers d'une compensation à l'euro». Derrière cet appel, des élus «à la vision ultralibérale, qui ne veulent pas que la négociation aboutisse», pointe André Viola. De là à faire capoter complètement la réforme ? «Il y a une inquiétude. La pression est forte, y compris de la part des plus modérés qui veulent essayer d'obtenir le plus possible de la part de l'Etat sur le plan financier», note l'élu.
Pour l'instant, l'ADF n'a pas fermé la porte. Mais les négociations, qui reprendront fin mai, achoppent sur l'année de référence à prendre en compte en cas de recentralisation. L'ADF souhaite 2014 quand le gouvernement veut 2016. Pourquoi ? Parce que si la première solution est choisie, les départements ne perdent que 9 millions d'euros de ressources qu'elles avaient pour payer le RSA. Si c'est 2016, l'Etat récupère 11 millions d'euros. Résultat, au gouvernement, certains commencent à douter de la volonté réelle de l'ADF d'aller au bout de la négociation. «C'est un jeu de poker menteur», pointe un proche du dossier.
Difficile d'y voir clair dans cette partie de cartes. D'autant qu'un autre point risque de chagriner à droite: la condition posée par Manuel Valls en cas de recentralisation : «Que les départements s'engagent à renforcer l'accompagnement de ses bénéficiaires vers l'insertion et l'emploi.» L'idée : les empêcher de se détourner de leurs responsabilités sur ce champ. Une mesure plus que nécessaire pour Christophe Sirugue, qui plaide par ailleurs pour que les départements continuent de financer 20 % du RSA : «Certes, l'explosion de la charge financière des départements explique en partie la baisse des crédits qu'ils ont alloués à la politique sociale. Mais certains ont aussi fait le choix de ne pas mettre les moyens.» Ce que le gouvernement veut éviter. D'autant que depuis quelques mois, les assauts contre la politique sociale se sont multipliés dans certains territoires. Exemple avec la proposition du Haut-Rhin, en février, de conditionner le RSA à du bénévolat. Ou encore avec la dernière sortie de Bruno Le Maire, candidat à la primaire de la droite, et favorable à un contrôle des comptes bancaires des allocataires (lire page 7).
Une tendance qui inquiète les élus de gauche désireux d'être moteurs du sujet. D'où leur volonté de réfléchir à des politiques d'insertion innovantes lors de leur séminaire de formation, auquel devrait participer vendredi Christophe Sirugue. Le but : «Arrêter avec l'entrée simplement financière et parler du contenu», précise Viola. Puis, à terme, construire une plateforme de propositions, qui, espère-t-il, pourront être portées par un candidat de gauche lors de la présidentielle.