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Interview

Julien Bayou à Nuit debout : «Je suis un parmi la foule»

Nuit deboutdossier
Le porte-parole de EE-LV passe ses nuits à Nuit debout et ses jours à préparer le congrès de son parti (les 11 et 12 juin). Deux mondes différents mais semblables, selon ses mots.
Julien Bayou à Nuit debout, sur la place de la République, le 27 avril. (Photo Elliott Verdier. AFP)
publié le 29 avril 2016 à 13h44

Le porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts passe ses nuits sur la place de la République, à Paris, et ses jours à préparer le congrès de son parti, qui aura lieu les 11 et 12 juin.

Vous passez toutes vos nuits debout, sur la place de la République ?

Oui, quasi chaque soir.

Certains racontent que le mouvement s’essouffle, c’est vrai ?

Mercredi, il y avait un peu moins de monde. Mais je n'arrive pas à savoir si les gens ont marqué une pause ou s'ils étaient avec les intermittents. Mais, jeudi, c'était plein. Samedi, avec la deuxième session d'Orchestre debout, où chaque musicien amateur peut venir jouer, je pense qu'on va battre un record. Et le 1er mai s'annonce massif contre la loi licenciements et ça peut se prolonger en une belle Nuit debout.

Jusqu’ou peut aller Nuit debout ?

Je n’ai pas la réponse. Personne ne l’a. Ce qui passe aujourd’hui est un symptôme, un ras-le-bol. Les gens demandent plus de démocratie. Ils veulent reprendre la parole qui a été confisquée.

Un peu comme en Espagne avec Podemos ou en Grèce avec Syriza ?

Il y a deux points en commun. En Espagne et en Grèce, ces mouvements ont émergé au moment où la gauche a mené une politique de droite après lui avoir succédé. En France, on est finalement arrivé au même point, ou quasi. Et on sent bien que l’alternance classique ne fonctionne plus : quelle différence fondamentale entre un Hollande et un Juppé, quel projet à dix ans pour le pays ? Aujourd’hui, nous assistons à une recomposition du champ politique autour de trois blocs. Celui des réactionnaires, des conservateurs avec Alain Juppé, Manuel Valls ou Emmanuel Macron et l’alternative progressiste qui tarde à émerger.

C’est quoi l’autre point en commun ?

En Espagne non plus, les Indignados n’ont pas débouché sur un parti. Mais ils ont développé un discours, identifié les banques comme ennemis car elles expulsaient à tour de bras alors qu’elles étaient responsables de la crise. Ce n’est que plus tard qu’une réponse politique a émergé via Podemos. C’est pareil aux Etats-Unis. Ceux qui ont occupé Wall Street parlaient des 99% contre l’oligarchie par exemple. Ils se retrouvent aujourd’hui dans le discours de Bernie Sanders parce qu’il le tient depuis des années.

Du coup, politiquement, qui peut se retrouver en phase avec ce mouvement ?

La réponse politique reste à construire. Mais puisqu’il se construit en rejet, en défiance vis-à-vis de la politique classique, mécaniquement, tous ceux qui sont identifiés comme faisant partie du système sont mis sur la touche.

Mais vous êtes dans le système. D’ailleurs, vous n’avez pas eu des problèmes, du genre, toi le mec de EE-LV tu n’as rien à faire ici ?

Non pas vraiment, et pour deux raisons. La première, je n’y vais pas pour promouvoir EE-LV, au contraire même, j’y vais pour prendre des leçons pour réinventer mon parti. Deuxièmement, je suis un militant actif et sur le terrain depuis des années. Que ça soit avec Jeudi noir ou Génération précaire. Et puis, du moment qu’on s’en tient à «je suis un parmi la foule», il y a une grande bienveillance générale.

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Votre position est drôle. La nuit, vous êtes sur la place de la République et le jour, vous préparez les congrès de votre parti avec vos motions à l’ancienne…

On ne prépare pas un congrès à l'ancienne et nos envies rejoignent celles de Nuit debout. Tout est lié. Aujourd'hui, les gens veulent plus de démocratie mais les partis sont devenus des astres morts. Mon alliance avec David Cormand [secrétaire national par intérim, ndlr] s'est notamment scellée sur un point non négociable : la transformation de notre parti. Le statu quo n'est plus permis. Nous avons beaucoup déçu car nous nous sommes coulés dans le système. Nous devons nous réinventer. Notamment via les questions de financement participatif, pour axer sur les projets et les mobilisations citoyennes et plus seulement sur les dotations publiques. Surtout, on veut donner au plus grand nombre les moyens de prendre part aux questions stratégiques. Pour sortir des deals de couloirs et pour remettre cette formation politique en phase avec ceux qu'elle prétend représenter.

C’est-à-dire ?

Par exemple, si la question d’une entrée des écolos au gouvernement se pose, on fait comme les Grünen en Allemagne. Ce sont les militants et sympathisants qui ont fait la campagne qui disent si on ouvre ou non les négociations, sur quelles propositions, et qui après des négociations transparentes disent banco ou non. Avant même de changer la constitution on veut déjà bousculer la cinquième République. Ce congrès sera décisif car il dira si on change, s’ouvre, se remet en mouvement ou pas. Ça prendra du temps, c’est sûr. Mais l’écologie et les enjeux démocratiques seront au cœur d’un projet de reconquêtes aux Européennes et les municipales.

Et la présidentielle de 2017, on s’en moque ?

Non, elle est décisive et il faut que le projet écologiste soit représenté. 2017 peut-être une étape comme elle peut être un accélérateur de changement. Mais on ne va pas jouer les arrogants. Aujourd’hui, on est faible. En partie à cause de nos flottements et de l’absence de direction. Du coup, l’avis d’un individu peut prendre une importance démesurée. Ainsi, des parlementaires qui voulaient rentrer au gouvernement ont réussi à un moment à donner l’impression qu’ils représentaient 50% du mouvement. Pourtant, tout le monde savait qu’une majorité des militants ne voulaient pas qu’on retourne au gouvernement. On aurait dû faire un vote avec les sympathisants.

Il y a un autre point en commun entre Nuit debout et votre parti EE-LV, c’est le manque de couleur. Pourquoi ?

On ne peut sortir d’années de sous-représentation par un claquement de doigts. Je vais déjà commencer par EE-LV. Nous avons un discours sur la diversité, mais les actes ne suivent pas. Par exemple, nous avons peu d’implantations dans les quartiers populaires. Nous, écolos, ne savons pas faire le lien entre les discriminations, les conditions de vie et la société de consommation. En disant, par exemple, qu’il y a en France une forme de ségrégation environnementale quand ce sont toujours dans les mêmes territoires, près des mêmes populations qu’on installe certaines industries polluantes ou dangereuses. Ça vaut pour les quartiers populaires comme pour certaines campagnes qu’on fait mine d’oublier. On doit être capable de dire aux gens clairement : vos gosses mangeront mieux si on développe le bio. Pareil pour la rénovation thermique : les «passoires thermiques», les quartiers populaires en sont pleins, mais c’est technique. On devrait dire aux gens «vous pourriez payer moins en facture d’électricité». Chez les écolos, on peut avoir un côté techno, scientifique à l’excès.

L’autre point sur les quartiers, c’est le manque de relais. Certains se méfient des partis politiques, échaudés par les expériences des années 80, avec un fort sentiment d’instrumentalisation. Du coup aujourd’hui, il n’y a pas assez de ponts, pas assez d’espaces pour construire des choses. En 2005-2006, on a vu deux mouvements de jeunesse important. L’une contre le CPE, l’autre avec les révoltes des banlieues. L’exaspération était grande dans les deux cas mais elles ne se sont pas rencontrées. On a raté quelque chose et on continue à le rater.

Et au sujet de Nuit debout qui rencontre le même problème ?

Déjà, on ne peut pas demander à Nuit debout-République pourquoi la banlieue n’est pas là : à Montreuil, Saint-Denis ou Mantes-la-Jolie, ça s’organise progressivement. Il y a beaucoup de personnes qui ne viennent pas mais qui espèrent tout de même que les choses changent et qui ont donc de la sympathie pour les «nuitdeboutistes». Et Nuit debout ne peut pas être représentatif de toute la société en un mois : le problème de représentation de la diversité touche toute notre société. Et on ne peut pas espérer que le mouvement qui est le symptôme de la crise d’une société fracturée devienne en quelques semaines une palette parfaite. Sur la représentation comme sur son projet ou ses revendications, on plaque une exigence démesurée sur Nuit debout.