Le salaire du patron de Renault et de Nissan, qui a doublé en 2014, agite de plus en plus la sphère financière. Vendredi, les actionnaires de Renault ont rejeté sa rémunération au titre de l’année 2015. Une première depuis que les porteurs sont consultés à titre consultatif avec l’instauration du «Say on Pay» en 2014. A 54,12 %, ils ont émis un avis négatif sur les émoluments du PDG qui se sont élevés l’an dernier à 7,251 millions d’euros : 1,24 million d’euros en salaire fixe, 1,79 million pour la part variable, et 4,19 millions sous forme d’actions de performance. A cette somme, il faut ajouter les 8 millions qu’il touche en tant que patron de Nissan. Une situation intolérable pour Loïc Dessaint, directeur général du cabinet de conseil aux actionnaires Proxinvest.
Cette double rémunération est-elle abusive ?
Dans ces proportions, oui. A partir du moment où Carlos Ghosn partage son temps entre Nissan et Renault, c’est comme s’il faisait deux mi-temps. Il devrait donc être payé chez Renault deux fois moins qu’un dirigeant du CAC 40. Or, la moyenne dans le CAC 40, c’est 4,3 millions d’euros au total. J’estime que la rémunération devrait tourner autour de 2 millions d’euros. Il n’est pas légitime de recevoir un total annuel de 15 millions d’euros, alors que la moitié des dirigeants du CAC 40 gagne moins de 3,7 millions. Il touche l’équivalent de 764 fois le Smic. Même les grands actionnaires ne comprennent pas. La plupart réclament la publication de l’écart entre la rémunération du PDG et le salaire moyen des salariés. Les sociétés anglo-saxonnes le fournissent. Juste en tenant compte des 7,2 millions d’euros qu’il touche chez Renault, donc sans Nissan, nous arrivons à un écart de 161.
Sa rémunération avait doublé en 2014. L’augmentation n’est que de 0,49 % en 2015. Pourquoi ce rejet aujourd’hui ?
Les deux années précédentes, il y a déjà eu beaucoup de contestation. En 2014, la première année du Say on Pay, 64 % des actionnaires ont voté pour. La deuxième année, 56 %. A ce niveau, c’est un désaveu. En Angleterre, lorsque la contestation atteint les 20 ou 30 % sur le Say on Pay, c’est considéré comme une fronde des actionnaires. Et le conseil de rémunération écoute alors les actionnaires, les rencontre. Cela ne fonctionne pas comme ça chez Renault. Lors d’une assemblée générale, un actionnaire avait demandé quelle leçon il tirait de l’approbation à seulement 64 %, lors du premier Say on Pay, en 2014. Ghosn s’était tourné vers les administrateurs, il y a eu un flottement, puis il a dit que la majorité était pour et qu’ils avaient pris note. En clair, ça veut dire : circulez, y a rien à voir. Carlos Ghosn domine son conseil, il domine l’assemblée générale, il domine le groupe. Il n’est pas dans la communication avec les actionnaires. J’ai aussi l’impression que les gros actionnaires se sont réveillés cette année, qu’ils ont enfin pris conscience que Ghosn touchait deux salaires.
Parce que les actionnaires ne le savent pas ?
Le salaire que touchait Carlos Ghosn chez Nissan a longtemps été confidentiel. La France a introduit la publication des rémunérations en 2001, ce qui n'était pas encore le cas au Japon. Et puis, la loi au Japon a été modifiée, les grosses rémunérations des dirigeants ont été publiées. Nous avons alors demandé à l'AMF [le gendarme de la Bourse, ndlr] qu'elle exige de Renault la publication de cette information dans le document de référence de Renault. C'est une des rares fois où l'AMF a utilisé son droit d'injonction.
Donc, maintenant, tout le monde connaît le salaire de Ghosn chez Nissan…
Ce n’est pas encore complètement transparent. Les petits actionnaires lisent seulement l’avis de convocation de l’assemblée générale. Or, le salaire de Nissan n’y est pas indiqué.En septembre 2015, alors que Carlos Ghosn était en tête du classement des dirigeants français les mieux payés, nous avions publié une note où nous citions une série d’investisseurs étrangers qui avaient voté en faveur de sa rémunération. On leur a rappelé que Ghosn n’avait pas le don d’ubiquité, qu’il ne pouvait travailler que sept jours sur sept, une moitié chez Renault et l’autre chez Nissan. Une fois que ces investisseurs sont face à cette info, ça les a fait réfléchir et, du coup, ils se sont mis à regarder le dossier. C’est ce qui explique la majorité du vote contre ce vendredi.
L’Etat qui vote contre la rémunération de Carlos Ghosn, ça vous satisfait ?
Oui, bien sûr. Mais sur la question de gouvernance, l’Etat a été mauvais. Une résolution, adoptée vendredi, le prive de son droit de vote double pour un ensemble de questions, dont celle de la rémunération. Ce n’est pas cohérent.