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Réforme

Loi travail, à l’Assemblée aussi, ça coince

Les doutes sur la capacité du gouvernement à obtenir une majorité en faveur du projet de loi El Khomri, examiné à partir de ce mardi à l’Assemblée, ressuscitent le spectre d’un passage en force.

Myriam El Khomri lors d’une réunion avec les partenaires sociaux, le 29 février à Paris. (Photo Albert Facelly)
Publié le 02/05/2016 à 20h01

Parenthèse terminée. Depuis trois semaines, l'exécutif et la majorité des socialistes reprennent tous le refrain du «ça va mieux» lancé par François Hollande lors de son émission sur France 2. Chiffres macroéconomiques - baisse du chômage, retour de la croissance… - et victoire lors d'une législative partielle en Loire-Atlantique à l'appui, les principaux dirigeants du PS tentent de faire passer l'idée qu'à un an de la présidentielle, pour eux aussi ça va mieux. Retour à la réalité parlementaire : alors que débute ce mardi à l'Assemblée l'examen en séance publique du projet de loi réformant le code du travail, le gouvernement a encore du boulot s'il veut construire une majorité - de gauche - sur un texte qui mobilise la rue contre lui depuis le début du mois de mars. Un an après la loi Macron passée à l'aide du 49.3, le spectre d'un nouveau passage en force ou d'une mise en minorité fait son retour.

«Ça va être très serré»

Ce ne sont pas des députés opposés à ce projet de loi, porté par la ministre du Travail, Myriam El Khomri, qui ont sonné l'alerte lundi, mais le rapporteur du texte, le député PS Christophe Sirugue. Selon l'élu de Saône-et-Loire, «il manque près de 40 voix pour obtenir une majorité et voter la loi», a-t-il déclaré lundi dans le Parisien. «Sirugue est bien optimiste !» ironise Christian Paul, chef de file d'une aile gauche socialiste qui réclame «le retrait» de ce projet. «Ça va être très serré», confirme un haut dirigeant socialiste. D'autant plus que le gouvernement a choisi d'emblée de se passer du soutien de ces députés frondeurs. «Depuis maintenant quatre ans, il y a un certain nombre de socialistes, 7 % ou 8 % - c'est bien trop, mais ce n'est pas beaucoup […] - qui disent que nous devrions faire toujours plus, qui ergotent à chaque fois que nous créons un progrès», a regretté lundi le patron du groupe PS, Bruno Le Roux. «Quand on fait une croix sur 25 députés et que la charnière est à 30, c'est pile ou face ! fait remarquer le député des Hauts-de-Seine Jean-Marc Germain. Il faut nous convaincre plutôt que de dire en permanence que l'on se trompe.» Avec d'autres proches de Martine Aubry, comme le député François Lamy ou l'ex-ministre, de retour à l'Assemblée, Marylise Lebranchu, Germain a signé lundi une tribune dans Libération réclamant des modifications importantes du texte : pas de «critères automatiques transformant les licenciements économiques», maintien de la supériorité d'un accord de branche sur un accord d'entreprise pour «protéger les salariés», un compte personnel d'activité plus nourri, intégrant «formation, épargne temps, complémentaires, droits assurance chômage, acquis validés, points pénibilité…»Et Germain prévient : «S'il n'y a pas notre vote, il y aura le 49.3.»

Pour l'instant, au ministère du Travail, on écarte l'hypothèse d'un passage en force. «L'objectif, c'est la construction d'une majorité, dit-on dans l'entourage de Myriam El Khomri. Il va falloir beaucoup de travail mais nous avons bon espoir de démontrer qu'il n'y a pas de désaccord fondamental entre socialistes.» Ces derniers jours, la ministre a ainsi multiplié les rendez-vous avec les députés pour les convaincre qu'il y avait la place pour un compromis. «Certains de mes collègues sont dans les postures, d'autres, de bonne foi, s'interrogent, observe Monique Iborra, députée de Haute-Garonne et membre du collectif "Les réformateurs", classé à l'aile droite du PS. Le débat devrait les éclairer : nous avons déjà encadré un certain nombre de choses. Aujourd'hui ce texte n'est plus déséquilibré.» La tonalité de l'intervention de Manuel Valls, ce mardi matin devant le groupe socialiste, dira dans quel état d'esprit le Premier ministre attaque cette étape importante sur la route de 2017. Pour lui, mais surtout pour Hollande. «A la fin, comme toujours sous la Ve République, c'est le Président qui décidera, rappelle un député. Et, chez Hollande, il y a toujours cette hésitation : soit il raccommode la gauche sur ce texte, soit il prend le risque d'un 49.3 et fait la preuve qu'il réforme jusqu'au bout.»

Dramatisation

A l'aube d'une séquence parlementaire qui doit durer jusqu'au 12 mai (pour un vote solennel prévu le 17), les acteurs à gauche installent le rapport de force à venir. Le 49.3 remisé après avoir menacé de l'utiliser, le gouvernement répète désormais qu'il est «à l'écoute» depuis la réécriture du texte, puis ses modifications en commission des affaires sociales (lire ci-contre). Le rapporteur Sirugue dramatise, lui, l'absence de majorité pour obtenir du gouvernement le plus possible sur les licenciements économiques, l'encadrement des référendums ou les accords d'entreprise. «Il y a un gros travail fait par le rapporteur. Je pense que ça va passer. Et sans 49.3», veut croire un membre du gouvernement. «Tout est déjà ficelé, craint de son côté un député socialiste. Sirugue a déjà négocié avec Valls jusqu'où il est possible d'aller. Il n'y aura que quelques avancées à la marge.» Pas sûr que cela suffise à dégager une majorité. Débarrassés du chantage à la dissolution, s'appuyant sur un mouvement social qui dure et pariant sur le besoin pour Hollande, à l'approche de 2017, de faire la paix avec sa gauche, l'aile gauche du groupe PS croit en ses chances de transformer le texte. «Si François Hollande veut se représenter, son intérêt est que l'on vote ce texte», avance Germain. La solution du gouvernement aurait pu être aussi de tenter, comme l'an dernier sur le projet de loi Macron, une «nouvelle majorité» avec les centristes. Mais depuis les premières modifications, en mars, sous la pression venue de gauche, les centristes et les quelques députés de droite qui auraient pu être séduits par la première version, plus libérale, ne viendront pas à la rescousse du gouvernement. A un an de la présidentielle, les forces telluriques de la Ve République repolarisent naturellement l'hémicycle.