Quatre ans et demi après son interpellation, Michel Neyret, 60 ans, n'a pas vraiment changé. Un léger reflet gris éclaire désormais la mèche qui lui tombe sur le visage, les traits arrondis par quelques kilos en plus. Mais le commissaire déchu ne renie rien de ses vieilles méthodes. Celles d'une police à l'ancienne, principalement basée sur la gestion des indics, les fameux «tontons». Le procès de Neyret, poursuivi notamment pour «corruption», «trafic d'influence», «trafic de stupéfiants» et «association de malfaiteurs», a débuté lundi à Paris.
A la barre, l'ancien numéro 2 de la PJ lyonnaise a raconté comment il avait essayé de «façonner» la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) qu'il a dirigée pendant plus de vingt ans. Avec l'idée de faire de l'antigang, jusque-là utilisé comme une force d'appoint, un véritable service d'initiative. «J'ai développé cette politique de renseignement», a insisté Neyret, expliquant s'être lancé «à corps perdu dans le travail de manipulation des informateurs». Avec un seul objectif : recueillir un maximum d'informations jusqu'au «flag», le flagrant délit. Quitte à basculer peu à peu dans le camp des voyous.
Taupe
Les deux indics présumés qui lui valent d'être renvoyé devant le tribunal brillent par leur absence. Le premier, Stéphane Alzraa, est en fuite depuis décembre, alors qu'il purgeait une peine de trente mois de prison pour «abus de biens sociaux», «banqueroute» et «blanchiment». Le second, Gilles Benichou, ne s'est pas présenté à l'audience. Une absence d'autant plus génante que Benichou a joué un rôle clé dans l'affaire Neyret. C'est lui qui, début 2011, se targue au téléphone d'avoir une taupe au sein de la PJ, et oriente malgré lui les juges vers le commissaire lyonnais. Lui, aussi, qui joue les intermédiaires entre Neyret et Alzraa, afin de communiquer à ce dernier des éléments qui doivent lui permettre d'échapper à la justice. «L'absence de Gilles Benichou risque de raccourcir un peu les débats», a déploré le président du tribunal.
A l'origine, Gilbert Benichou est entré en contact avec Michel Neyret par l'intermédiaire de son frère, Albert Benichou. Pendant longtemps, celui-ci a rencardé les flics de la PJ lyonnaise. Ses tuyaux permettent notamment à Neyret d'interpeller un important trafiquant de stups de la région lyonnaise. Mais quelques semaines plus tard, l'indic s'évanouit dans la nature. Le commissaire, qui craint un règlement de comptes, se rapproche alors de son frère Gilles, pour le «tamponner» à son tour. En clair, en faire une nouvelle source du service. Tant pis si celui-ci a été blacklisté du fichier des indics quinze ans auparavant pour son «manque de fiabilité». Sa connaissance du milieu lyonnais, son implantation locale et ses nombreuses connaissances en font une proie de choix.
Coup de pouce
Au président du tribunal, qui s'étonne que Neyret semble donner bien plus d'informations à sa source qu'il n'en reçoit, le commissaire expose sa «philosophie», détaillant la «relation complexe» entre un agent traitant et sa source. Les informations ne sont pas toujours directement exploitables, elles servent aussi à donner une «ambiance», un «environnement», autant d'éléments qui constituent un «travail d'enrichissement policier documentaire».
Sa gestion des indics a-t-elle changé quand il est devenu directeur adjoint la PJ lyonnaise en 2007, un poste plus administratif et donc plus éloigné du terrain qu'à la BRI ? «Même si ce n'était plus formellement dans mes attributions, j'ai continué à entretenir des relations avec certains indics», admet Neyret. A commencer par Gilles Benichou, qu'il rencarde régulièrement. Un jour, il consulte pour lui le Fichier des personnes recherchées (FPR), quitte à violer allégrement le secret professionnel. Le lendemain, il demande un coup de pouce à un magistrat pour obtenir un «traitement bienveillant» à l'égard d'un proche de Benichou. Si le commissaire a agi de la sorte, explique-t-il, c'est à la fois pour protéger sa source et établir une «relation de confiance», la base d'une connexion efficace entre un policier et un indic.
«Illusoire»
Mais plus encore qu'avec Benichou, c'est avec Stéphane Alzraa que Michel Neyret va franchir la ligne jaune, acceptant ses invitations, s'affichant ostensiblement avec lui, allant même jusqu'à conduire sa Ferrari. «Je fondais plus d'espoir sur ma relation avec Alzraa qu'avec Benichou», a admis Neyret, qui parle même d'un «deal», un «accord tacite donnant donnant» : d'un côté, le truand devait fournir des renseignements opérationnels au commissaire, de l'autre ce dernier acceptait de faire quelques recherches dans les fichiers de police. Un «rapport entorse/intérêt», jugé avantageux par Neyret.
Au juge qui s'étonne encore des faibles résultats obtenus, le commissaire répond qu'il faut un certain temps. «Il est illusoire de croire qu'on peut obtenir d'un informateur des renseignements opérationnels immédiatement», dit-il, jurant que sa seule optique était «d'avoir des renseignements en retour». Puis, devant l'insistance des magistrats, il finit par reconnaître quelques imprudences. «A l'époque, je pensais maîtriser totalement les choses, lâche-t-il à la barre. Peut-être que finalement, j'ai été débordé par la situation.»