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Libération
Chronique «Aux petits soins»

Se raconter pour résister à la maladie

La journaliste Bérénice Geoffray a suivi, par le biais de l'association Cordia, neuf résidents en appartements thérapeutiques. Son livre, «Derrière les maux, la vie», raconte sans détour leur quotidien bouleversé par des affections lourdes.

(Photo Olivia Fremineau pour «Libération»)
Publié le 02/05/2016 à 16h39

Des mots pour une maladie. Non pas pour la nier mais simplement pour l’apprivoiser, lui donner une place et éviter ainsi qu’elle ne prenne toute la place. Dans le flot des témoignages de malades qui paraissent ces temps-ci, c’est une des constantes : chacun se raconte une histoire. Et c’est tout le mérite du livre de témoignages (1) de la journaliste Bérénice Geoffray, qui a suivi neuf personnes pendant des mois en les laissant parler au long cours. Neuf résidents d’appartements de coordination thérapeutique de l’association Cordia, atteints de maladies chroniques, se sont confiés en douceur, sans brusquerie. Ils ont pu raconter une histoire. Non pas pour s’endormir mais pour vivre avec.

Ainsi de Mme ZB. Elle a appris qu'elle était atteinte du sida. «Le choc. Des questions. Beaucoup de questions. J'ai préféré être claire dès le début : "On ne va pas chercher à savoir d'où ça vient mais plutôt comment je vais continuer à vivre avec. Point barre." Puis je suis allée trouver ma mère, qui se faisait beaucoup de souci. Je lui ai dit :
"Il ne faut pas que tu meures avant moi. J'ai besoin de ton soutien.
— Tu es bête ? Tu trouves que c'est amusant ? Tu ne sais pas que c'est une malédiction pour la famille ? Que les gens te pointent du doigt ?
— C'est leur problème.
— Ma fille, j'apprécie ton courage, je veux te dire quelque chose d'important. Est-ce que quand tu t'assois tu parles à ta maladie ?
— Non, pourquoi ?
— Quand tu te sens à bout, tu mets une chaise en face de toi et il faut que vous causiez entre amies. Faites-vous des confidences, des pactes, que chacune respecte l'autre. C'est une thérapie toute simple ! Avec mes problèmes d'articulation, d'arthrose et de tension : je prends toutes mes maladies, je les mets en face de moi et je m'entretiens avec elles. Si toi tu peux la voir, elle aussi te voit et t'entend."»

Quelques jours plus tard : «Un jour de moral assez bas, je me suis levée de mon lit, et j'ai regardé le vide en face. "Ecoute, toi, écoute-moi bien, tu es déjà dans mon sang, mais il ne faut pas me nuire. Tu restes à ta place, je reste à la mienne. On se respecte et on se suit jusqu'au petit matin."»

«Je souffre, mais je vais bien»

La maladie comme une amie avec laquelle il faut discuter. Pour Djucu, atteint du syndrome de Sharp, c'est un peu la même attitude : «La maladie, c'est elle qui est venue s'incruster, si je meurs, on part ensemble ; si je suis vivante, elle reste avec moi. Je la laisse tranquille, elle me laisse tranquille. Quand tu apprends quelque chose, tu te le mets automatiquement dans la tête et ça y reste. […] J'ai accepté d'être malade. Je pense que c'est trop fatigant si tu ne l'acceptes pas. Et tu fatigues aussi les gens autour de toi.»

Il n'empêche, elle est là, vous voilà malade. Comment, dès lors, trouver du sens, là où bien souvent il n'y a que du hasard ? Maxence est atteint d'une pathologie très particulière qui lui est tombée dessus. «La sarcoïdose est une maladie auto-immune. On l'attrape comme ça. Mais pourquoi je suis le seul dans le secteur alors que tous mes copains et collègues à côté de moi n'ont rien eu du tout ? C'est comme si la "maladie" – qui stagnait dans les airs au-dessus de nos têtes – avait choisi de se poser sur moi. […] Cela s'est abattu sur moi, dans un McDonald's, au fin fond du 92 [Hauts-de-Seine, ndlr]

«Je préfère être dans la vie»

Que faire, alors ? Diane, souffrant de fibromyalgie, se bat, elle, en se projetant : «Non, je ne suis pas en train de mourir, je n'en ai pas l'intention et mon corps ne me le dit pas concrètement. Je souffre, mais je vais bien. Je n'ai pas peur de la mort, je sais que c'est beau mais je préfère être dans la vie. Ce n'est pas un déni de ma maladie, c'est une résistance ! Une sorte d'indifférence : "Je suis libre, ce n'est pas toi qui feras la loi chez moi."»

Et puis il y a les autres, les proches, les amis. Que faire, que leur dire ? En parler ou pas ? Chacun, là encore, se décide. Luc a préféré se taire : «Je ne parle pas de ma santé à mon entourage, je ne trouve pas que ce soit utile. […] Parler ne servirait pas à grand-chose. Dire à quelqu'un : "Oui c'était l'enfer", il répondrait : "Ah oui, j'imagine." Non, il n'imagine pas, justement.»

Derrière les maux, la vie, de Bérénice Geoffray, éd. Fauves, 196 pp., 17 €.