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Libération
Décryptage

Le PS vend un bilan à la carte

En juin 2015, à Poitiers. (Photo Guillaume Souvant. AFP)
publié le 3 mai 2016 à 20h31

La scène se déroule lundi matin. La presse s'entasse au siège du Parti socialiste, rue de Solférino. Après le «Hé oh la gauche !» de Stéphane Le Foll, voilà «Du progrès en plus», nouvelle initiative pour défendre le bilan du président de la République, que lancent Bruno Le Roux, patron des socialistes à l'Assemblée nationale, et Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS. Sur une petite estrade, Le Roux présente soixante cartes postales. Elles mettent en avant les mesures du gouvernement depuis 2012, ce fameux bilan de gauche qui aurait échappé aux Français. Un petit carnet avec les vingt «décisions de la gauche qui ont relevé la France» est également présenté. Libération a sélectionné pour les expertiser une dizaine de ces réalisations revendiquées en cartes postales, sur les plans économique, social ou sociétal. Si certaines d'entre elles sont bien exactes, d'autres le sont moins, voire pas du tout. Passage en revue.

«En 2015, la France a créé 525 000 entreprises, devenant le leader européen de la création d’entreprises»

ENGAGEMENT A MOITIE TENU.

Le chiffre de l’Insee est en léger recul par rapport à 2014, année durant laquelle 550 700 entreprises avaient été créées. La faute à un statut d’autoentrepreneur devenu un peu plus contraignant et donc un peu moins attractif. La France est cependant bien leader dans ce domaine : le dernier comparatif disponible d’Eurostat, portant sur 2013, montre qu’elle devance l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Et selon le site Tech.eu, l’Hexagone a été, au premier trimestre 2016, le pays d’Europe où les start-up ont bénéficié le plus d’investissements à leur lancement. Mais les cocoricos s’arrêtent là : parmi ces nouvelles entreprises, 95 % n’ont aucun salarié et la France arrive loin dans le classement européen des créations de structures comptant un à dix salariés, les plus pourvoyeuses d’emploi. Les deux tiers de ces entreprises nouvellement fondées disparaissent dans les trois années après leur création. Parmi les survivantes, seul un tiers finit par créer de l’emploi.

«Maintenant, l’impôt sur le revenu est plus progressif»

ENGAGEMENT TENU.

C’est globalement vrai. En créant une nouvelle tranche haute à 45 % pour les revenus supérieurs à 150 000 euros par part, l’exécutif a accru sa progressivité. Hollande a aussi allégé l’imposition directe des plus modestes en supprimant la première tranche de l’impôt sur le revenu et accentué sa décote : 55 % des Français en sont aujourd’hui exemptés. Mais l’ISF, qui taxe le patrimoine, a été durci. Le quotient familial a été rogné pour plus d’un million de foyers aisés et la fiscalité sur les revenus du capital accrue avec leur mise au barème. Sur ce dernier point, le gouvernement a cependant largement fait marche arrière après le mouvement des «pigeons». De nouveaux dispositifs d’abattement permettent aux créateurs d’entreprises d’échapper à un alignement demeuré très partiel.

«Maintenant, pour lutter contre les contrôles au faciès, les policiers peuvent être équipés d’une caméra-piéton»

ENGAGEMENT A MOITIE TENU.

Le Parti socialiste se raconte des histoires. Celle des «caméras piétons» est vraie. Le ministère de l’Intérieur veut acquérir 4 500 «mini-caméras» en cinq ans pour équiper les forces de l’ordre. Objectif : apaiser les rapports entre la police et la population. Sur le terrain, les associations doutent car les caméras seront allumées et éteintes par les policiers eux-mêmes. Mais si un incident arrive et que la patrouille ne met pas en marche l’appareil, elle devra se justifier.

Par contre, rien ne peut être mis à l'actif du gouvernement en matière de lutte contre les contrôles au faciès, dont sont victimes notamment les Arabes et les Noirs. La caméra n'y changera rien. En 2011, le candidat Hollande s'était engagé à mettre en place un récépissé de contrôle d'identité pour lutter contre ces contrôles à répétitions. Mais une fois élu, il a oublié sa promesse sous la pression de son ministre de l'Intérieur de l'époque, Manuel Valls, farouchement opposé à cette idée. En 2013, condamné pour «faute lourde» par la justice sur des contrôles au faciès, le gouvernement s'est pourvu en cassation.

«Maintenant les rythmes scolaires sont adaptés à ceux des enfants»

ENGAGEMENT A MOITIE TENU.

Depuis la rentrée 2014, les écoliers ont une matinée de travail en plus. Une nouvelle organisation pour alléger le temps de classe et dispenser l’enseignement le matin, quand la concentration est optimale. Un rapport parlementaire détaillant l’application de la réforme sur le territoire sera rendu public avant l’été. Si 87 % des élèves ont aujourd’hui accès à une activité périscolaire (chiffres du ministère), le SNUipp-FSU dénonçait, voilà un an, l’effet néfaste des dysfonctionnements du périscolaire sur le scolaire. Le tir a-t-il été corrigé ? En fait, le

«progrès en plus» 

pour les enfants ne sera pas connu avant 2017. Deux études de deux ans ont été lancées auprès de 15 000 élèves en juin 2015, l’une pour se rendre compte de l’impact de la réforme sur la fatigue des enfants et l’autre sur les apprentissages.

«Maintenant, chez le médecin, on n’a plus à avancer le prix de la consultation»

ENGAGEMENT NON TENU.

Ah bon… Ce serait bien pratique si c’était vrai, mais cela ne l’est pas. En tout cas pas encore. Et parler aujourd’hui du tiers payant généralisé est un leurre, car ce ne sera qu’à la fin 2017 que cela sera effectif. Au 1

er 

mai, en effet, seuls les bénéficiaires de la CMU et ceux qui ont l’aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS) ne font pas d’avance de frais. Au 1

er 

juillet, premier changement : les médecins pourront proposer le tiers payant à leurs patients pris en charge à 100 % par l’assurance maladie, mais cela dépendra de leur bon vouloir, car même pour ces patients à 100 %, il faudra attendre le 31 décembre pour que le tiers payant devienne un droit.

Et les autres ? C'est-à-dire les plus nombreux ? Ils doivent patienter. Au 1er janvier 2017, les complémentaires santé pourront proposer à leurs assurés le tiers payant, puis en novembre 2017, les patients auront le droit d'en bénéficier pour la part remboursée par l'assurance maladie obligatoire. Bref, si le calendrier est respecté, cette promesse ne sera vraiment tenue que fin 2017.

«Maintenant les couples de même sexe peuvent se marier»

ENGAGEMENT TENU.

C’était il y a trois ans. Le 17 mai 2013, la loi ouvrant le mariage et l’adoption à tous était promulguée comme un arc-en-ciel après des mois d’orage et de foudre. Ce jour-là, la France devenait le quatorzième pays au monde à légaliser les mariages entre personnes du même sexe. Promis par le candidat Hollande, porté par la garde des Sceaux d’alors, Christiane Taubira, ce texte fait partie des plus débattus de la V

République : 172 heures d’invectives, 4 999 amendements déposés à l’Assemblée, 279 au Sénat. Sans compter tous ces kilomètres durant lesquels les antimariage, regroupés au sein de la Manif pour tous, ont défilé en criant des slogans homophobes (tel

«pas besoin de se marier pour se faire enculer»

).

Cette loi acquise au prix d’une bataille politique restera dans l’histoire du quinquennat comme un engagement tenu (même si l’accès à la procréation médicalement assistée n’a pas été donné aux couples de femmes, à qui on l’avait pourtant fait miroiter). Les homosexuels ont d’ailleurs largement fait honneur à cette avancée sociétale : entre mai et décembre 2013, 7 367 mariages de couples de même sexe ont été célébrés en France. Le chiffre a grimpé à 10 000 en 2014, avant de redescendre à 8 000 l’an passé.

«Maintenant les banques doivent séparer leurs activités spéculatives et leurs activités de dépôt»

ENGAGEMENT NON TENU.

Telle était du moins l’intention du candidat Hollande qui pense que les dégâts générés par la crise des subprimes rendent nécessaire une mise au pas des banques. La réalité a vite eu raison du discours. Confiée à Pierre Moscovici, alors ministre de l’Economie, la loi qui devait

«obliger les banques à séparer leurs activités de crédits de leurs opérations spéculatives»

est rapidement vidée de tout contenu préjudiciable au secteur. L’idée de séparer strictement banque d’affaires - acteurs des marchés - et banques de détail - réceptacles de l’épargne populaire - est abandonnée. Le gouvernement se contente d’exiger la filialisation de leurs

«activités spéculatives», 

au sens le plus étroit : ne sont considérées comme

«spéculatives»

que les opérations réalisées par les banques pour elles-mêmes et non pour leurs clients. Des activités déjà sur le déclin tant les régulateurs internationaux les ont pénalisées. De l’aveu du PDG de la Société générale, Frédéric Oudéa, la loi votée le 18 juillet 2013 n’a touché que 0,75 % des revenus totaux de sa banque…

«Maintenant les allocations familiales sont modulées en fonction des revenus»

ENGAGEMENT TENU.

C’est une réalité. Depuis le 1

er

juillet 2015, le montant des allocations familiales ne dépend plus uniquement du nombre d’enfants mais aussi des ressources du foyer. Alors que jusque-là toutes les familles touchaient 129,35 euros par mois pour deux enfants (295,05 euros pour trois), celles dont le revenu a dépassé 67 141 euros en 2014 ont vu ce montant divisé par deux. Et par quatre si le revenu a franchi 89 490 euros. Adoptée à l’automne 2014 dans le cadre du projet de loi de finances de la sécurité sociale, la mesure, qui touche 12 % des familles, a permis au gouvernement de faire d’une pierre deux coups : satisfaire sa majorité tout en économisant 800 millions d’euros par an.

«Maintenant, les stages de plus de deux mois sont obligatoirement rémunérés»

ENGAGEMENT TENU.

La loi sur l’encadrement des stages, en vigueur depuis l’été 2014,

«a repris une décennie de revendications des organisations de jeunesse, mais il est encore tôt pour en mesurer pleinement les effets, tant les décrets d’application ont tardé», 

remarque Vincent, de Génération précaire. Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) dénombrait 1,6 million de stagiaires en 2012.

«Si la lutte contre les stages abusifs porte ses fruits, le nombre total devrait baisser», poursuit Vincent. Il redoute une diminution de leur durée pour contourner la rémunération rendue obligatoire au-delà de deux mois (554 euros mensuels). Génération précaire se félicite de la chasse aux «écoles bidons»,qui éditent à tour de bras de chères conventions. Désormais, l'étudiant doit avoir suivi 200 heures de formation avant un stage. Quant aux nids à stagiaires, la loi a instauré des plafonds : dans les entreprises de plus de 20 salariés, 15 % de stagiaires sont autorisés ; pas plus de trois pour les sociétés plus petites.«Il ne suffit pas d'encadrer, encore faut-il contrôler. Et l'inspection du travail n'a plus les moyens», déplore Vincent. L'organisation se bat pour la prise en compte des stages par l'assurance chômage. Si le dispositif législatif est «globalement satisfaisant», le problème est loin d'être réglé : «Il s'est déplacé,explique Vincent. Le service civique risque d'être le stage de demain. La loi égalité et citoyenneté prévoit sa généralisation alors qu'il est insuffisamment encadré. On va vers une démultiplication des abus, avec des associations qui recrutent des soi-disant volontaires en bac +5 pour gérer leurs relations presse à 100 euros mensuels. Des jeunes qui sortent certes des chiffres du chômage, mais pour du salariat déguisé, pas par engagement !»

«Maintenant, quand on loue un appartement les frais d’agence sont plafonnés»

ENGAGEMENT TENU.

Cette mesure découle de la loi Alur de l’ex-ministre du Logement Cécile Duflot (EE-LV), pour mettre fin aux abus des agences immobilières, notamment là où la situation du logement est très tendue et les loyers élevés (à Paris, sur la Côte d’Azur, dans les grandes villes). Jusque-là, lors de la mise en location d’un logement, les agences facturaient l’équivalent d’un mois de loyer au seul locataire. Le mandat était donné par le bailleur mais seul le locataire payait l’agence. Pour un deux-pièces de 40 m

à Paris à 1 200 euros, le locataire devait ainsi débourser d’un coup 3 600 euros pour entrer dans les lieux : 1 200 euros pour le premier mois de loyer et 1 200 euros de dépôt garantie (la «caution») et 1 200 euros de frais d’agence. Désormais, le décret pris en application de la loi Alur limite à 12 euros par mètre carré les frais d’agence pour Paris et 68 communes limitrophes (soit 480 euros pour un deux-pièces de 40 m

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et non plus 1 200 euros). Dans le reste de l’Ile-de-France et la plupart des grandes villes de l’Hexagone le tarif est de 10 euros le mètre carré, et de 8 euros dans le reste du pays.

La loi Alur prévoit aussi un encadrement des loyers dans une trentaine d’agglomérations. Hélas pour les locataires, Manuel Valls a limité ce dispositif à la seule capitale.