De mémoire de Rennais, on n’avait pas vu depuis longtemps pareille effervescence dans l’historique Maison du peuple, alias «Salle de la cité». Depuis plus d’une semaine, elle est devenue le QG des opposants à la loi travail, auxquels se sont mélangés précaires, chômeurs, intermittents du spectacle et autres piliers de Nuit debout. Une occupation sous tension, soutenue par les élus verts et du Front de gauche.
Radio croco. Au lendemain du 1er Mai, la maire PS de Rennes, Nathalie Appéré, a demandé l'expulsion des occupants avant de se raviser et de leur accorder une semaine dans cet ancien fief de la CGT et du festival des Trans Musicales. L'autorisation a été prolongée jusqu'au 16 mai. L'évacuation risque de s'avérer délicate, ses nouveaux locataires n'étant guère décidés à lâcher leur proie. Des activités sont organisées à tous les étages. A commencer par l'antique cabine de projection de cet ancien cinéma, transformée en «Radio croco», qui diffuse de la musique engagée, des infos pratiques, des communiqués et des commentaires humoristiques de l'actualité.
«On ne partira pas, assure Hugo, un des animateurs, accessoirement porte-parole de l'Union des étudiants communistes (UEC). C'est devenu un des plus beaux lieux de la démocratie. Il y a des anars, des syndiqués, mais la majorité des gens ne sont pas encartés et n'ont même jamais milité. Le but, c'est l'horizontalité absolue ! Tout se discute en assemblée générale, qui fait loi, et on a décidé d'être encore là dans quatre-vingt-dix-neuf ans !» Sur la scène, qui sert de dortoir, une poignée de militants est réunie pour préparer une soirée consacrée à «l'état d'urgence et à la répression».
Dans le hall, une «cantine collective» ou chacun donne «ce qu'il peut». Dans la cour transformée en agora, des syndicats présentent leurs brochures. Un militant de SUD Rail, code du travail ouvert sur les genoux, s'est lancé dans une explication de texte sur la législation sociale. Jour après jour, concerts et projections de films se succèdent. Une kermesse avec chamboule-tout aux effigies de Valls ou de Macron et «pêche aux CDD» sont aussi au programme.
Concerts. «On est surtout dans l'action, précise Alexandre, étudiant en lettres. Comment organiser les manifs ou la grève des intermittents, avec aussi la mise en commun de préoccupations concrètes sur l'assurance chômage ou la défense des victimes des violences policières.» Dans la cour, Titus, étudiant en philo, se réjouit de l'occupation qui «marche du feu de Dieu», avec 300 à 500 personnes à chaque AG. Un peu plus loin, Pierre, étudiant aux Beaux-Arts, est content. «On peut faire des projections, des concerts, du théâtre, il n'y a pas de limites.» Mais le 17 mai, tout le monde sera censé avoir quitté les lieux.