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Que risque le gouvernement avec le 49.3 ?

L’article 49.3 a été utilisé 85 fois sous la Ve République, en majorité par des gouvernements de gauche. Aucun n’a été censuré.

Le 3 mai 2016 à l'Assemblée nationale. (Photo Albert Facelly pour Libération)
Par
Nicolas Boeuf
Publié le 10/05/2016 à 18h21

Mardi 10 mai, le Conseil des ministres extraordinaire convoqué par François Hollande a autorisé Manuel Valls, le Premier ministre, à utiliser le 49.3 pour la loi travail. A l’origine, l’article 49 alinéa 3 de la Constitution était prévu pour éviter les situations de blocage parlementaire, lorsque l’opposition inonde volontairement un projet de loi d’amendements pour ralentir son adoption. Il a été utilisé 85 fois sous la Ve République.

Sous la Ve République, le 49.3 a été utilisé 32 fois par un gouvernement de droite contre 53 fois par un gouvernement de gauche. Le record est détenu par le gouvernement de Michel Rocard, avec 28 recours. Cela veut-il dire que Manuel Valls fait une utilisation plus économe du 49.3, contrairement à certains de ses prédecésseurs ?

A vrai dire, il ne peut pas en faire plus. En effet, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le gouvernement ne peut pas avoir recours au 49.3 plus de deux fois par session parlementaire (par an) : une fois pour la loi de finance et une fois pour un autre texte. Manuel Valls a même pu l'utiliser trois fois pendant les différents vote de la loi Macron, puisqu'il s'agissait du même texte.

Pas plus d'amendements que pour le mariage pour tous

«Il ne faut jamais renoncer à un moyen constitutionnel», a déclaré Manuel Valls vendredi 6 mai sur Public Sénat. Si le projet de loi travail a entraîné le dépôt de 5 000 amendements, c'est autant que le projet de loi sur le mariage pour tous, adopté en 2013 sans recours au 49.3. Et loin des 120 000 amendements déposés contre la loi énergie du gouvernement Villepin, promulguée en 2006.

Par ailleurs, en engageant sa responsabilité lors du recours au 49.3, le gouvernement choisit de facto les amendements qui seront retenus dans la loi et peut ainsi laisser de côté d'éventuels amendements gênants, comme celui sur la modification de la loi Evin lors de l'examen de la loi Macron. Et au passage s'éviter le risque que les «30 à 40 députés de la majorité» qui ne comptaient pas voter la loi travail, selon Bruno Le Roux, ne fasse capoter le projet.

Mauvais pour l'image, mais pas très risqué

En terme d'image, l'obligation de recours au 49.3 n'est pas toujours une bonne opération. Bien que constitutionnelle, cette mesure est parfois jugée antidémocratique. «Une brutalité» et «un déni de démocratie» même, selon les mots de... François Hollande en 2007, alors premier secrétaire du PS.

De plus, l'opération, offre une tribune à l'opposition. Lorsque le gouvernement engage sa responsabilité sur un projet de loi, cette dernière est adoptée à moins qu'une motion de censure soit déposée. Pour être valable, elle doit réunir le vote positif de 1/10e des députés. Ces derniers ne peuvent signer que 3 motions de censure par an... hors cas de recours au 49.3. Dans les faits, une motion de censure est très souvent lancée. On parle même de «motion de censure provoquée».

Si cette motion de censure est adoptée, non seulement la loi est abandonnée, mais le gouvernement est renversé. Ceci dit, le gouvernement prend un risque très raisonnable. «Les répercussions politiques d'une motion de censure, adoptée par des députés appartenant à la majorité, sont bien trop importantes», expliquait le professeur de droit constitutionnel à la Sorbonne Didier Maus dans Libération le 10 septembre 2014. Dans les faits, aucune motion de censure consécutive au recours à l'article 49.3 n'a mené au renversement d'un gouvernement de la Ve République.