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Vers un référent unique pour l'indemnisation des victimes du terrorisme

Manuel Valls a annoncé lundi des mesures pour les victimes d'attentat, dont la prise en charge par l'Etat est très critiquée par les associations.

Juliette Méadel, la secrétaire d'Etat chargée de l'Aide aux victimes, à l'Elysée, le 21 mars. (Photo Marc Chaumeil pour Libération )
Publié le 10/05/2016 à 16h15

Création d'un conseil scientifique sur la radicalisation, d'un plan de vidéosurveillance en Ile-de-France ou encore de centres de réinsertion et de citoyenneté dans chaque région… Des annonces du plan gouvernemental contre le terrorisme et la radicalisation, présentées lundi 9 mai par Manuel Valls, ont été largement commentées. La mesure numéro 79 concernant les victimes de terrorisme, est passée elle, un peu inaperçue.

Ce «plan concret pour les victimes d'ici fin 2016 avec un portail internet et un référent unique pour chaque victime» était demandé depuis plusieurs mois par certaines associations de victimes. «C'est une très bonne chose, ça fait quatre mois qu'on le demande alors qu'en Belgique, en moins d'un mois, il y a eu un site pour informer les victimes et leurs proches», explique Emmanuel Domenach, rescapé du Bataclan et vice-président de l'association 13 novembre : fraternité et vérité. Françoise Rudetzki, fondatrice de SOS Attentats et membre du conseil d'administration du fonds d'indemnisation des victimes, approuve elle aussi la décision : «Les victimes ont affaire à trop d'organismes. Si on met en place un référent unique, j'applaudis.»

Avant d'applaudir cependant, Emmanuel Domenach veut connaître la traduction concrète de ces annonces. «Il faut voir ce qu'on va mettre sur le site et quels pouvoirs vont avoir les référents.» Il tient aussi à prévenir : «Ça ne remplacera pas le rôle de l'Etat.» Qui, sous entendu, a fait défaut jusque-là. «Juliette Méadel [la secrétaire d'Etat chargée de l'Aide aux victimes, ndlr] a commencé un travail de fond mais son secrétariat est une coquille vide. Est-ce qu'on a vraiment donné les moyens ? Le job est fait par les associations. Il n'y a pas de lien direct entre l'Etat et les victimes», déplore-t-il.

2 000 dossiers après les attentats du 13 novembre

Près de six mois après les attentats du 13 novembre, le jugement d'Emmanuel Domenach n'est pas un cas isolé. Au sein des associations, parmi les victimes et les proches, on s'interroge sur la prise en charge par le gouvernement des victimes de terrorisme. Au centre des critiques, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme. Créé en 1986, alors que la France connaît une vague d'attentats, il indemnise les victimes de terrorisme ainsi que les proches des personnes décédées, prenant en compte les préjudices physiques, moraux et économiques. Alimenté par une taxe sur les contrats d'assurance de 4,30 euros, le fonds n'a ni barème, ni plafonds d'indemnisation. Il juge au cas par cas et fait une «offre» d'indemnisation. Les victimes et leurs proches peuvent la refuser, et dans ce cas saisir le tribunal de grande instance.

«Nous avons le meilleur système du monde, affirme Françoise Rudetzki, avant de nuancer son propos par l'utilisation du passé : ce fonds a très bien fonctionné». Et pour cause : depuis sa création et jusqu'en 2014, il aurait reçu 4 200 dossiers de victimes de terrorisme. Un chiffre qui a grimpé depuis : 300 dossiers environ après les attentats de janvier 2015, 2 000 après ceux de novembre. Aujourd'hui, selon elle, il accuse une certaine lenteur. «S'il y a un surcroît de travail, on pourrait embaucher. J'ai accès aux comptes, il y a la trésorerie nécessaire. J'ai demandé à la direction, on m'a dit qu'il fallait croiser, vérifier…», assure-t-elle. «On a des contraintes, se justifie Guillaume Clerc, responsable de la communication du fonds. L'offre d'indemnisation ne peut intervenir qu'après l'expertise médicale. Il faut parfois attendre plusieurs mois, voire plusieurs années pour évaluer l'impact, notamment psychologique, sur les victimes. C'est pareil pour toutes les victimes d'atteintes corporelles».

C'est justement ce type d'argument que déplore Antoine Casubolo Ferro, avocat de victimes de terrorisme et membre de l'Association française des victimes du terrorisme. «Le problème c'est qu'ils sont dans une démarche d'assureurs mais ce n'est pas comme un accident de la route.»

«Où habite Daech ?» 

Si un haut magistrat, des représentants de l'Etat et «des personnes ayant manifesté leur intérêt pour des victimes d'actes de terrorisme», comme des associatifs, siègent au Conseil d'administration du fonds, celui-ci est en effet géré par des représentants de sociétés d'assurance.

«Les courriers ne sont pas toujours très adaptés à des victimes qui ont des traumatismes», confirme Françoise Rudetzki qui raconte que le fonds demandait, dans certains formulaires-type, le nom et l'adresse des terroristes. «Alors où habite Daech ?», fait-elle semblant de s'interroger. «Il y a un fonctionnement très bureaucratique, abrupt», explique pour sa part Emmanuel Domenach, qui déplore également un manque de communication et de transparence sur l'attribution des indemnisations. «Il n'y a pas de critères à proprement parler, assure Guillaume Clerc. On a vocation à indemniser toutes les victimes. C'est le seul critère : être une victime.»

Dans certains cas, la définition ne pose pas problème. Après un attentat, le procureur de la République transmet en effet au fonds une liste avec l’identité des victimes. Au Bataclan par exemple, celles-ci ont été vite identifiées et ont reçu un premier versement de 10 000 euros, une provision avant l’offre d’indemnisation définitive, comme prévu par le fonds.

«On ne va pas indemniser tous les habitants du Xe et du XIe»

Pour certaines personnes, présentes aux abords du stade de France ou des terrasses attaquées, la situation est plus compliquée. Souvent absentes de la liste du procureur, elles doivent se manifester d'elles-mêmes au fonds, et faire valoir leur statut de victime. «Il faut des preuves : un dépôt de plainte, des certificats médicaux et des témoignages. Mais dans beaucoup de cas, le fonds estime que les documents ne suffisent pas. Il n'y a pas de transparence sur ce qu'ils demandent réellement», assure Françoise Rudetzki.

La question se pose alors inévitablement : qu'est ce qu'une victime ? Jusqu'à quelle distance peut-on être considéré comme telle ? «Ce n'est pas une question de périmètre, mais on ne va pas indemniser tous les habitants du Xe et du XIe», se défend Guillaume Clerc.

Même manque de clarté pour l'indemnisation des proches des victimes, selon Antoine Casubolo Ferro. Avocat de la famille d'Aurélie Chatelain, tuée par Sid Ahmed Ghlam, il explique : «Les parents ont reçu une indemnisation mais pas son ex-mari, qui est aussi le père de leur fille, dont il s'occupe !» Selon lui, le fonds tire son avantage du flou lié à l'absence de critères, notamment en ce qui concerne le montant des sommes versées. «Ils profitent des gens qui ne savent rien et négocient les sommes avec ceux qui ont un bon avocat.»

«Ils sont juge et partie, ils évaluent et financent, explique Emmanuel Domenach. D'autant plus que les assurances ont un intérêt : s'il y a plus de dépenses, la taxe sur les contrats pourrait augmenter et avoir une répercussion sur le nombre de souscriptions.» Le directeur du fonds, François Werner, est d'ailleurs également membre du conseil d'administration de la Smacl, mutuelle pour les collectivités et les particuliers. Peu de chance pour que la création d'un site internet et d'un référent unique, annoncée par Manuel Valls répondent à ces problématiques.