Tout a commencé, en 2009, par un coup de fil de la banque : le compte de Fatah Hou, aujourd'hui sur le banc des parties civiles du procès de Younès Bounouara, n'est plus accepté dans l'établissement. Etonnant puisqu'il n'a aucune difficulté financière. Quelques temps plus tard, c'est au tour de sa société de transport de connaître des turbulences : son plus gros client le laisse tomber. Viennent ensuite une visite inopinée du fisc et des contrôles de police. Fatah Hou serait-il un citoyen malchanceux ou paye-t-il le prix de son témoignage contre les puissants de Corbeil-Essonnes ? Le 8 juin 2009, lorsque le Conseil d'Etat annule l'élection du sénateur UMP (futur LR) Serge Dassault à la mairie pour suspicion de dons d'argent, Fatah Hou fait partie des cinq jeunes de la cité des Tarterêts qui ont dénoncé, par le biais d'une attestation, un système d'achat de voix. Il a raconté avoir touché la somme de 2 000 euros pour assurer la mission suivante durant la campagne : aller frapper à la porte de familles maghrébines des Tarterêts en disant «Bonjour, il faut voter Dassault».
Pour que le propos soit plus convaincant, il leur propose de régler quelques factures en échange de leur soutien. C’est ainsi qu’il aurait grapillé 25 voix en faveur de son candidat moyennant 6 000 euros. L’avionneur a riposté en portant plainte pour faux témoignages. De façon inattendue, les cinq attestataires font alors volte-face et s’excusent dans des lettres de rétractation produites par l’avocat de Serge Dassault. Un léger détail cloche : les signatures des repentis ne correspondent pas exactement à celle des accusateurs... Mais le milliardaire retire sa plainte et l’histoire en reste là.
Restaurant chinois
«Je me suis rétracté parce que j'ai reçu des pressions», précise, mercredi, Fatah Hou à la barre de la cour d'assises d'Evry. A l'époque, contraint d'abandonner son entreprise de transport au bord de la faillite, il a ouvert un restaurant chinois et s'est lancé dans une carrière de boxeur professionnel. Pour autant, il revient à la charge contre le «système Dassault», le 10 novembre 2012. Il organise alors un rendez-vous avec l'avionneur, auquel il se rend en compagnie de son ami René Andrieu, également partie civile dans le dossier. Le but ? Réclamer de l'argent – quelques dizaines de milliers d'euros - que Dassault doit encore au beau-frère de Fatah Hou, qui avait prêté «main forte» à la campagne de Jean-Pierrre Bechter, successeur de l'avionneur à la mairie de Corbeil-Essonnes en 2010.
Dans son bureau, Dassault lui répond qu'il a déjà versé la somme de 1,7 million à Younès Bounouara, l'un des lieutenants chargé de redistribuer l'argent aux intermédiaires. Il ne mettra plus la main à la poche. Fatah Hou filme la scène grâce à une caméra cachée, sait-on jamais, ça peut servir... «Une idée de chantage ?», suggère le président. La partie civile nie, il voulait simplement «dénoncer un système». «Vous n'avez pas l'impression de participer à ce système ?, insiste l'avocat général. Vous êtes prêts à empocher de l'argent mais quand on ne vous le donne pas, vous dénoncez... ». Le 25 janvier 2013, le beau- frère de Fatah Hou se présente effectivement devant les policiers financiers de Nanterre pour mettre en exergue les pratiques douteuses en vigueur à la mairie de Corbeil, vidéo à l'appui.
«Peur permanente»
Démarche citoyenne ou vengeance d'un homme floué ? Voilà en tout cas comment l'information s'est retrouvée dans les colonnes du Canard Enchaîné. «Younès Bounouara était furieux, il a cru que c'était moi qui avais été voir les journalistes et la police. J'ai juste fait la vidéo », explique Fatah Hou. La suite est connue : deux coups de feu retentissent le 19 février 2013 en plein centre-ville de Corbeil-Essonnes laissant des séquelles irréversibles à la victime. «Il n'a plus aucune sensation dans les jambes, il a perdu l'usage de son bras droit et doit être accompagné pour tous les gestes du quotidien», a expliqué un peu plus tôt dans la matinée son épouse âgée de 35 ans, en larmes. «Cette personne» assise dans le box des accusés – qu'elle ne veut ni nommer ni voir – a «fait basculer leur vie », indique-t-elle en désignant Younès Bounouara que l'on avait presque oublié en ce deuxième jour de procès axé sur le témoignage de la partie civile. «Notre famille a été détruite, j'ai une peur permanente des représailles», insiste Iatimad Hou.
«Je trouve que ce qu'il a subi est très grave, je suis désolé», concède Younès Bounouara poursuivant sa contrition entamée la veille. Pourtant, il change soudainement de registre après le témoignage de l'ancien entraîneur de boxe de Fatah Hou : «Je pense qu'il simule. Des gens à Corbeil m'ont dit qu'il s'entraînait régulièrement à la salle de boxe. Alors c'est bizarre d'entendre qu'il a du mal à se tenir debout...» Son avocate, Me Karine Bouden, tente de réparer les dégâts. Du tac au tac, elle rappelle les propos – nettement plus amènes – tenus par son client face au juge d'instruction : «c'est grave, heureusement qu'il n'est pas mort» ou encore «je suis désolé de ce qui lui est arrivé». Mais le mal est fait.
Plusieurs questions restent encore en suspens au cour de ce procès qui se tiendra jusqu'au 18 mai : Fatah Hou a-t-il provoqué Younès Bounouara en se garant devant son repaire, le café «Neness», comme tente de le démontrer l'avocate de la défense ? Qui a commencé à harceler l'autre ? Fatah Hou est-il le grain de sable dans un système frauduleux bien huilé ou un maître chanteur ? Younès Bounouara a-t-il agi pour protéger les intérêts de Serge Dassault ou a-t-il perdu pied, victime de pressions ? «On cherche à comprendre dans cette affaire ce qui a pu opposer les deux protagonistes dans les années précédentes, rappelle le président. Les affaires de l'Essonne en font partie. On en parle, c'est normal, mais ce n'est pas le fond du procès.» Il sera pourtant difficile d'en faire abstraction. Vendredi prochain, les autres témoins de la sphère corbeil-essonnoise, comme Jacques Lebigre, ancien adjoint de Serge Dassault sont attendus à la barre.