Si la consultation du smartphone au volant est régulièrement dénoncée par les autorités publiques, l’envoi de SMS par un piéton qui traverse la route passe sous les radars. Or, la pratique n’est pas anecdotique. 17% des piétons de grandes villes ont un comportement à risque, selon une étude menée par Dekra dans six capitales européennes. Le numéro 1 mondial des contrôles techniques de véhicules possède un centre de recherche en accidentologie qui, depuis huit ans, publie un rapport annuel sur la sécurité routière. Cette année, il a diffusé une note supplémentaire sur le comportement des piétons avec leur mobile, en appliquant une méthode originale.
Des équipes du centre se sont positionnées sur des axes urbains fréquentés pendant deux jours et ont observé les comportements. La Gare du Nord, les Champs Elysées et la Tour Eiffel étaient les zones cibles à Paris. Résultats : sur les 14000 personnes observées dans les six villes sélectionnées (Amsterdam, Berlin, Bruxelles, Paris, Rome et Stockholm), 8% ont été vus en train d’envoyer un SMS ou de naviguer sur une appli alors qu’ils traversaient la route, 2,6% passaient des coups de fils, 1,4% ont même été observés en faisant les deux. Enfin, 5% portaient des écouteurs mais ne parlaient pas, ce qui laisse supposer qu’ils écoutaient de la musique. C’est à Amsterdam que les piétons sont les plus prudents (près de 8% d’entre eux ont un comportement à risque), et à Stockholm qu’ils sont le plus distraits (23,5%). Paris est dans la moyenne avec 14,5%.
L’enfer des smombies
Les enquêteurs ont également noté certaines scènes, rapportées dans la note : ainsi ces «groupes de jeunes gens» agglutinés autour d'un smartphone tout en traversant la rue, cette femme qui s'engage sur un passage piéton sans regarder la couleur du feu et en envoyant un SMS, cet homme avec une poussette dans une main, un enfant dans l'autre et avec le mobile coincé entre son oreille et l'épaule. Ou encore cette femme au téléphone qui traverse la rue en courant pour attraper un tram, sans regarder. Des scènes plutôt ordinaires avec des gens ordinaires désormais identifiées comme smombies, contraction de zombies et de smartphone. «Nous ne sommes pas très surpris par ces résultats, explique Nicolas Bouvier, directeur général de Dekra Automotive SA. On observe une perturbation des comportements de plus en plus fort, provoquée par des facteurs externes.» A bord des véhicules en raison de l'électronique envahissante, mais aussi à l'extérieur. «Le smartphone est quasiment devenu une greffe pour certains», poursuit-il. Autre scène observée à Stockholm et raconté dans la note : «Une jeune fille est restée au milieu de la route, a sorti son téléphone et a commencé à écrire un SMS. Il a fallu que le chauffeur d'un bus arrivant sur la voie klaxonne pour qu'elle réalise où elle se trouvait et qu'elle réagisse.»
Cette étude vient compléter un sondage paru à la fin de l’année dernière. Commandé par Ford, il révèle que 57% des utilisateurs de smartphones interrogés (10000 sondés européens au total) ont admis utiliser leur téléphone en traversant la route. L’étude apporte des précisions quant à l’usage en France. Tout en s’engageant sur la chaussée, 45 % des piétons français poursuivent leur conversation téléphonique, 28 % continuent d’écouter de la musique, 13 % envoient des textos, 6 % consultent Internet, il y en a même qui regardent la télévision ou des vidéos (3%). Ou qui jouent à des jeux vidéo (3%). Au total, 53% des Français avouent utiliser le mobile au milieu de la route. Un chiffre trois fois plus élevé que celui de Dekra, mais qui peut s’expliquer par la méthode utilisée. L’étude allemande s’est concentrée sur les zones fréquentées de métropoles, à fort taux de risque, où les piétons font preuve malgré tout d’une certaine vigilance. Alors que dans des villes moyennes et à la campagne, la traversée de la chaussée, même sans téléphone, se fait souvent les yeux dans les poches.
Systèmes d’alerte
Mais globalement, les études et travaux sur le couple piéton/smartphone sont très rares. La note allemande rapporte que 22% des morts sur la route en Europe sont des piétons, sans donner davantage de précisions. En France, 11216 accidents corporels ont impliqué un piéton en 2014, soit 19 % de l'ensemble des accidents. Cette même année, la mortalité piétonne a alors augmenté de 7 % par rapport à 2013. Sans que l'on sache dans quelles proportions ces accidents mortels sont dus au manque de vigilance des piétons, et s'ils impliquent l'usage du téléphone. En revanche, d'après le Bureau de statistiques fédéral allemand, «environ 10% des accidents mortels sur les routes allemandes sont causés par des piétons ayant un comportement inapproprié», rapporte Dekra. En 2013, un professeur de l'université de l'Ohio aux Etats-Unis publiait une étude basée sur les prises en charges aux urgences. Elle montrait qu'entre 2004 et 2010, le nombre de piétons américains blessés parce qu'ils étaient au téléphone avait triplé.
Certaines villes tentent d’apporter des solutions. La ville d’Augsbourg, en Allemagne, a installé des marquages lumineux au sol sur deux stations de tram. Quand le véhicule approche, les lumières s’allument et alertent le piéton qui traverse les yeux vers le sol.